Paris, 1199
petit étal de bois de couleur vive devant
lequel s’arrêtaient les badauds, ce qui gênait le croisement des véhicules.
Locksley fut déçu de ne pas apercevoir la rivière alors que sur le grand pont
de Londres, malgré les maisons innombrables, on pouvait par endroits voir
couler les flots de la Tamise.
Ils débouchèrent dans une rue plus étroite et plus
encombrée que la rue Saint-Jacques, et encore plus souillée de déjections. La plupart
des gros chariots qui les précédaient tournèrent à droite dans une voie conduisant
à un immense chantier dont Locksley aperçut les échafaudages et les grandes
grues à roue. C’était certainement à ce chantier qu’étaient destinés les
chargements de pierres et de bois. Amaury surprit le regard de son
compagnon :
— C’est notre nouvelle cathédrale,
Notre-Dame. C’est aussi monseigneur de Sully qui en a décidé la construction.
D’aussi loin que je me souvienne, je l’ai toujours vue en travaux, mais depuis
quelques mois la charpente est enfin couverte et les messes peuvent y être
célébrées.
Ils tournèrent à gauche dans la rue suivante qui
n’était qu’un tunnel tant elle était étroite, avec des étages en saillie
empêchant la lumière de pénétrer. Ils prirent ensuite, à main droite, une voie
plus large qui longeait de hautes fortifications surmontées de merlons et
bordées de tours rondes en poivrières.
— Voici le Palais de notre roi, expliqua
Amaury, mais il n’y vient pas souvent. En ce moment, il est dans son manoir de
Vincennes.
Une rampe avec un pont dormant permettait l’accès
à une cour au fond de laquelle Robert de Locksley aperçut plusieurs édifices en
pierre et un donjon sans aucune ouverture.
À l’extrémité de la rue, les tours étaient plus
larges et plus hautes en bordure du fleuve. L’enceinte entourant la Cité était
longée par des lices et percée d’une ouverture vers un nouveau pont.
— Combien de ponts y a-t-il à Paris ?
demanda Locksley, qui ne comprenait pas le détour qu’ils avaient fait.
— Seulement deux, seigneur. Celui que l’on a
pris depuis la rue Saint-Jacques et celui-là qu’on appelle le Grand pont. Il y
avait un ancien pont romain de ce côté, dans le prolongement de celui qu’on a
franchi au Petit-Châtelet, mais il a été incendié par les Normands quand ils
ont assiégé la Cité. Depuis il ne reste qu’une passerelle de bois qui permet d’aller
aux moulins construits entre les arches, mais on ne peut la traverser qu’à
pied. À mi-bras du fleuve, la passerelle peut être enlevée pour laisser passer
les barques, c’est pourquoi on l’appelle mi-brais.
Ils franchirent le Grand pont couvert de maisons
serrées les unes contre les autres. La plupart étaient des boutiques de
changeurs. Comme Locksley s’en étonnait, Amaury lui expliqua que c’était le
père du roi qui avait décidé de regrouper sur ce pont les changeurs de Paris.
Ils devaient lui verser vingt sous par an de redevance.
Le pont était en pierre et ils débouchèrent sur
une placette fortifiée où se dressaient une petite chapelle et un châtelet aux
tours rondes. Le passage se poursuivait sous la petite forteresse.
— Ce château a été construit pour empêcher
les Normands d’entrer dans l’île, expliqua Amaury comme ils s’enfonçaient sous
le porche sombre. Il est plus grand que celui de la rue Saint-Jacques, aussi
l’appelle-t-on le Grand-Châtelet, mais avec la nouvelle enceinte de notre roi
Philippe, il ne sert plus que de prison et de logis pour le prévôt de Paris et
le guet.
De l’autre côté s’étendait une place grouillante
de populace. D’une malpropreté repoussante, elle était bordée de boucheries et
d’écorcheries aux façades en saillie sur lesquelles pendaient, à des crochets,
des carcasses de moutons, de vaches et de cochons couvertes de mouches. Des
chiens et des pourceaux erraient partout, rongeant os et chairs abandonnés.
Dans de petits enclos, des moutons attendaient d’être égorgés en bêlant tristement.
D’autres l’étaient déjà et leurs peaux sanguinolentes étaient suspendues à des
piques. Dans de grandes marmites fumantes à l’odeur écœurante, des hommes et
des femmes faisaient fondre la graisse pour en obtenir le suif.
— Ici, c’est l’Outre-Grand-Pont. Là-bas,
c’est le Monceau-Saint-Gervais, fit Amaury en désignant une porte fortifiée à
l’autre extrémité de la place.
Avant, les bouchers étaient dans
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