Paris, 1199
Saint-Gervais. (Il désigna la rue qui
conduisait à une église entourée de tombes). Vous arriverez à l’ancienne porte
Baudoyer avec l’échelle [21] de Saint-Éloy devant. C’est là que se sont installés les vendeurs d’orviétan.
Vous verrez une rue qui longe l’ancien talus de la fortification. On l’appelle
même la rue des Moulins-du-Temple, mais son vrai nom c’est la rue du
Chevet-Saint-Gervais. Elle conduit au port et aux moulins sur la rivière. Là,
vous ne pouvez pas manquer le manoir.
Locksley lui donna une obole et prit la direction
de l’église Saint-Gervais après avoir observé que la rue de la Levrette était
défoncée d’ornières et emplie de boue, tandis que la rue conduisant à la porte
Baudoyer était pavée de grosses pierres de grès.
Près du parvis de l’église, dans le petit
cimetière des chanoines, quelques jongleurs vêtus de cottes bariolées faisaient
des tours de gobelets pendant que des charlatans vantaient leurs drogues. Comme
d’autres badauds, il s’arrêta un instant devant un homme au visage grave et
sévère. Vêtu d’une robe noire et coiffé d’un bonnet assorti, il discourait sur
un petit banc, faisant de grands gestes avec des flacons qu’il tenait dans
chaque main.
— Très honorés seigneurs et gentes dames, vous
avez devant vous le successeur d’Hippocrate et le fléau des Facultés,
haranguait-il son auditoire. Vous voyez de vos propres yeux un médecin
galénique, spagirique et empirique. J’ai là des emplâtres, des opiats pour les
coliques, des électuaires contre le mal de dents, des pommades pour les
crevasses et des onctions contre la gale et la pierre. J’ai surtout de la
graisse de phénix et d’oiseau de paradis venant de Bethléem qui guérit la
surdité et fait disparaître toutes les douleurs.
— Vous arrachez les dents ? cria une
voix.
— Non seulement je les arrache, mais je les
fais repousser ! Je place aussi les yeux de cristal, je rends la vue,
j’efface les rides et j’embellis les visages.
À cette affirmation, plusieurs femmes se
bousculèrent pour acheter les flacons et petits pots d’onguent qu’il vendait
une obole.
En riant, Locksley s’éloigna vers l’église
Saint-Gervais, une construction massive aux contreforts puissants et aux gros
piliers extérieurs soutenant une voûte ronde servant de porche. Sur le parvis poussait
un grand orme dont il devina l’usage. Il y avait les mêmes dans les villages
d’Angleterre. Après la messe, on se réunissait sous son ombre et les juges
seigneuriaux y tenaient leur audience ou percevaient le cens [22] .
Il traversa le cimetière à galerie couverte sur
laquelle étaient adossées des boutiques et des échoppes, jeta un bref regard à
l’échelle infamante dressée devant une ancienne porte encadrée de deux tours
fortifiées, puis descendit le chemin [23] bordé par un talus éventré d’où partaient des ruelles de masures. De l’autre
côté se dressaient d’étroits logis à haut pignon serrés les uns contre les
autres. Aucun n’avait de boutique, sans doute étaient-ce les maisons du
chapitre de Saint-Gervais.
Il découvrit vite la rivière. Le long de deux
pontons de bois, c’était un enchevêtrement de barques qui tentaient d’accoster.
Plus en amont, trois moulins s’élevaient sur un long appontement occupant la
moitié du bras du fleuve. Les roues à aubes qui tournaient sans cesse faisaient
un clapotis assourdissant, à peine couvert parfois par les cris des bateliers.
Sur ce quai à moulins, des portefaix transportaient de gros sacs de céréales
depuis de larges barques.
Plus loin, une myriade de bateaux traversait le
bras de la Seine pour se rendre dans l’île de la Cité dont il distingua un
petit quai entre les murailles. Les pêcheurs étaient partout. Ceux en barque
tiraient de longs filets attachés à de gros anneaux. Ânes, mules, bœuf et
chevaux avançaient dans la rivière jusqu’à mi-cuisse, pendant que les porteurs d’eau
emplissaient leurs seaux là même où s’abreuvaient les animaux.
Locksley s’approcha de la grève et se rinça les
mains encore couvertes de plâtre, puis il jeta les débris contenus dans son sac
et nettoya la bassine.
S’adressant ensuite à un batelier qui tirait sa
barque sur la rive, il lui demanda où était la maison templière. Le batelier
lui désigna une grosse maison forte qui faisait l’angle entre la rue du
Chevet-Saint-Gervais, par où il était arrivé, et une autre, le
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