Paris, 1199
l’aubergiste lui apportait un pigeon rôti,
il fit servir un pot de vin à son obligeant voisin tout en réfléchissant sur ce
qu’il allait faire. Il devait en capturer au moins un et l’interroger pour
connaître leur maître.
Ayant terminé son pigeon, il se leva, lança un
« Arvais [42] »
au chaudronnier en lui laissant son vin, et alla chercher sa monture pour
rentrer à Paris.
Le mendiant l’observa jusqu’à ce qu’il eût passé
la porte du Temple. Après quoi, il se leva à son tour.
Chapitre 12
M aurice
de Bracy s’était levé tard après avoir passé la soirée du dimanche à jouer et à
boire. Vêtu d’une robe de velours turquoise, à la couleur passée, recouverte
d’un surcot à ses armes – deux étoiles sur écu écarlate barré d’or –,
l’esprit encore embrumé par l’alcool, il attendait son écuyer devant la fenêtre
de sa chambre.
La main posée sur la poignée de sa lourde épée
suspendue à un triple baudrier, il s’efforçait de réfléchir aux auberges et
hôtelleries où se rendre pour trouver Locksley. Devait-il commencer par le
Monceau-Saint-Gervais ou par la Cité ? S’il avait été à la place de ce
larron, où serait-il allé ? Pouvait-il être resté sur la rive
gauche ? Non ! Les truands comme lui préféraient se cacher dans les
ruelles sordides des marais du Temple ou au milieu des bougresses du Beau
bourg.
Incapable de se concentrer après sa nuit trop
courte, il éprouvait déjà un certain découragement. Cette recherche durerait
des semaines, même aidé de son écuyer. Soudain, une haute silhouette qui
remontait à grandes enjambées la rue du Chevet-Saint-Gervais attira son
attention. C’était un homme brun, imberbe, revêtu d’un gambison de chevalier
mais sans baudrier ni épée. Il tenait à la main ce qui semblait être un manteau
écarlate, curieusement roulé autour d’une perche d’une bonne toise. La façon de
déambuler de cet individu lui parut familière, aussi ne le quitta-t-il pas des
yeux jusqu’au moment où il le reconnut quand il passa devant le manoir.
Locksley ! Il resta pétrifié un instant avant
de réagir rapidement. Par l’épée de saint Pierre ! Belzébuth venait de lui
livrer ce truand sans qu’il lève le petit doigt ! N’attendant pas plus son
écuyer, il sortit de sa chambre sans même prendre son manteau, courut dans la
galerie de l’étage jusqu’au grand escalier dont il dévala les marches avant de
traverser, à toute allure, la grande salle basse sous les regards surpris des
serviteurs, des sergents et des servants du Temple qui s’y tenaient.
Dans la rue, Robert de Locksley s’était déjà
éloigné. Bracy ne le vit plus. Bousculant les portefaix, se glissant entre ânes
et charrettes, il parvint enfin à le rattraper et resta dès lors derrière lui,
à bonne distance.
Maurice de Bracy était maintenant partagé entre
l’inquiétude et la satisfaction. Il était sorti en robe, sans manteau, avec son
blason bien visible sur sa cotte. Que Locksley se retourne, qu’il le
reconnaisse et il s’enfuirait immanquablement. Mais en même temps, Bracy était
ravi. Locksley allait soit à son logement, soit chez quelqu’un. Dans les deux
cas, la statue d’or ne devait pas être loin et serait bientôt à lui. Quant à la
capture de ce voleur, il aurait bien le temps d’y songer avec Malvoisin quand
il saurait où il logeait.
Bracy, qui avait pour habitude de se déplacer à
cheval, était contraint de prêter attention aux trous puants des ornières et
aux mendiants qui hantaient les rues, cherchant à trancher les lanières des
escarcelles des gens distraits. Ainsi, il écarta violemment un piètre [43] qui contrefaisait
l’estropié en s’accrochant à lui et plusieurs coquillards, faux pèlerins
couverts de coquilles, qui l’entourèrent en lui jurant qu’ils se rendaient à
Compostelle.
Soudain il vit Locksley quitter la rue de la
Tisseranderie pour se diriger vers Saint-Merry et il s’inquiéta un peu plus. Si
ce voleur sortait par l’Archet-Saint-Merry, il ne pourrait se dissimuler sur
les chemins peu fréquentés. Bracy se creusait la tête pour trouver une solution
quand il vit Locksley entrer dans l’auberge de la Corne de Fer. Aussitôt le
chevalier se glissa dans le porche de l’église Saint-Merry d’où il pouvait
apercevoir la porte de l’hôtellerie.
Assis à même le sol, un malingreux, bras et jambes
nus couverts d’ulcères factices, geignait et
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