Paris, 1199
suppliait qu’on lui donne une
obole pour qu’il se soigne. Agacé, Bracy lui envoya un coup de pied pour le faire
taire. Ses entrailles criaient maintenant de malefaim et il songeait avec
irritation que Locksley était peut-être à table, tandis que lui se morfondait
là, sans boire ni manger. Il se jura de lui faire payer cher cette attente
quand il serait entre ses mains.
Robert de Locksley ne le fit pourtant pas
patienter longtemps. Quand il ressortit, l’ancien voleur de Sherwood s’était
changé, ce qui signifiait qu’il logeait à la Corne de Fer. Bracy le vit se
rendre à l’écurie. De nouveau, il s’inquiéta. S’il le suivait, il serait
immanquablement repéré, car du haut de son cheval Locksley ne manquerait pas de
l’apercevoir. C’est en entendant à nouveau gémir le malingreux qu’une idée lui
traversa l’esprit.
— Pitié, seigneur ! répétait le mendiant
d’une voix de moribond.
Bracy se tourna vers lui :
— Tu veux gagner une pièce d’argent ?
Immédiatement, le visage tordu de douleur du
malheureux s’éclaira.
— Bien sûr, seigneur ! fit-il avec un
sourire édenté.
— Un chevalier est dans cette écurie. Il a un
surcot de croisé. Tu vas le suivre et tu feras l’aviseux [44] . Ce soir, tu viendras me
raconter ce qu’il a fait.
— Mais s’il quitte la ville, seigneur ?
— Tant pis pour toi ! Et n’essaie pas de
me tromper, car je crois savoir où il va.
Déjà Locksley quittait l’écurie sur le dos de sa
monture.
— C’est lui ! Si tu me trahis, je te
fais pendre, c’est clair ?
— Oui, seigneur, mais comment vous retrouver,
ce soir ?
— Tu connais le cabaret du Pigeon Blanc, rue
de la Mortellerie ?
C’était ce qu’on appelait communément un clapier à
putains pour les portefaix du port de Grève, mais Bracy le fréquentait avec
Malvoisin, car les drôlesses n’étaient pas chères et il n’était pas riche.
— Oui, seigneur.
— Sois-y à vêpres. Si tu ne m’as pas menti,
tu auras un écu d’argent.
— Et si vous n’y êtes pas, j’aurai perdu mon
temps, protesta le mendiant en tendant la main.
Exaspéré, Bracy ouvrit son escarcelle et en sortit
une obole de cuivre.
C’est dans l’après-midi du lundi que le prévôt de
Saint-Éloy apprit l’évasion d’Étienne Le Trébuchet par l’un des geôliers
venu le prévenir.
L’homme était épouvanté. Il connaissait la
sévérité de l’abbé Isembard et il se doutait qu’il n’échapperait pas au pilori,
mais il voulait se justifier pour éviter le fouet.
Robert Hamelin était prêtre et docteur de
l’Église. Choisi par le chapitre de l’abbaye, il savait qu’il serait abbé un
jour s’il ne commettait pas de faute. Or, cette évasion venait brusquement de
compromettre ses chances d’accéder à la charge de prieur.
— Il avait un arc, mon père, nous n’avons
rien pu faire, implorait le geôlier en se tordant les mains de désespoir.
— Vous étiez deux et vous étiez armés !
gronda Robert Hamelin.
— Pierre a tenté de prendre sa hache, mon
père, mais l’archer a tiré et a cloué sa manche à un banc. Il n’a pu se
dégager.
— Il fallait en profiter pour vous jeter sur
lui ! Si vous aviez eu un peu de courage !
— Après avoir tiré la flèche, cet homme en
avait déjà encoché une autre, pleurnicha le geôlier.
— Comment cela ?
— Je ne sais pas, père prévôt. C’était un
démon ! Il avait plusieurs flèches à la main et il en a mis une autre sur
la corde à peine la première était-elle partie.
— Mais il a raté Pierre !
— Non, mon père ! Il voulait seulement
le clouer au banc ! Je n’ai jamais vu une telle vitesse et une pareille
précision, même chez les meilleurs archers de Paris quand ils s’entraînent
devant l’enceinte [45] .
— Je ne peux te croire ! s’emporta
Hamelin en haussant les épaules.
Le geôlier baissa complètement la tête, ne sachant
plus que dire.
Robert Hamelin était certain que le geôlier
mentait. Comment deux hommes vigoureux auraient-ils pu se laisser dominer par
un archer ? Surtout si la première flèche n’avait blessé aucun
d’eux ! Ils auraient dû lui sauter dessus ! Pourquoi inventait-il une
histoire si stupide ? Ne sachant que penser, il demanda pourtant :
— Qu’a-t-il fait, après ?
— Sous la menace, nous sommes descendus dans
la cave avec la clef des fers. Nous n’avions pas le choix ! J’ai libéré
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