Paris, 1199
piliers aux rideaux couleur
feuille morte, de coffres et d’une grande table à tréteaux couverte d’un drap
blanc à franges. Plusieurs personnes attendaient debout, avec déférence, ayant
visiblement revêtu leurs plus beaux habits. Leurs visages trahissaient un
mélange d’inquiétude et de fierté.
Noël de Champeaux, celui qui avait pris la
décision de le cacher dans les souterrains, s’avança vers lui avec respect. Se
tournant ensuite vers les autres personnes, il le présenta comme le comte de Huntington
venu régler à Paris une querelle avec des Templiers de son pays. Il ne dit pas
qu’il avait délivré Étienne Le Trébuchet, c’était inutile, car tout le
monde le savait.
Champeaux lui présenta ensuite les convives. Les
premiers furent leurs hôtes, le gros Bertaut et sa femme, toute boudinée dans
un bliaut vert pomme. Ils paraissaient tous deux extrêmement embarrassés de
recevoir un chevalier, comte de surcroît. Puis ce fut un petit homme au visage
plissé et parcheminé : Geoffroi, le tavernier du Lièvre Cornu. Le suivant
fut Jehan le Flamand, un tisserand roux aux épaules de lutteur, au cou de
taureau et à la face couperosée. Enfin ce fut Aignan, un libraire.
Durant ces présentations très formelles, Locksley
observait qu’Amaury, près de lui, ne quittait pas des yeux une jeune femme à
l’écart, en compagnie d’un autre homme placé dans l’ombre de la custode du lit
à piliers.
Champeaux ayant terminé, il fit un pas en
direction du couple, comme pour marquer qu’il y avait une profonde différence
entre eux et les autres. Locksley avança à son tour et découvrit un peu mieux
la jeune fille. De petite taille, elle était brune aux yeux verts avec un
visage vif et des traits fins.
— Sanceline est la fille d’Enguerrand, dit
alors Noël de Champeaux en désignant l’homme.
Celui-ci émergea de la pénombre. De taille
moyenne, d’une maigreur effrayante, il affichait le visage sévère et humble des
mystiques. Locksley avait déjà connu ce genre d’homme parmi ceux qui prêchaient
les croisades.
Champeaux parut alors chercher ses mots, comme
s’il se justifiait :
— Seigneur anglais, vous avez deviné que nous
cherchons à nous protéger des méchants… Mais soyez assurés que nous formons une
confrérie de bons chrétiens… Nous croyons seulement que l’Église de Rome se
trompe, que le mal est partout sur terre, et que c’est uniquement en rejetant
les biens terrestres que nous serons sauvés.
Locksley hocha lentement de la tête, sans marquer
pour autant son approbation.
— Enguerrand, tisserand comme moi, est aussi
notre ministre. C’est lui qui nous guide vers le salut.
Le nommé Enguerrand planta ses yeux dans ceux de
Locksley qui se sentit fouillé au plus profond de lui-même. Robert prit alors
conscience qu’il l’avait mal jugé. Le regard d’Enguerrand n’était pas celui
d’un fanatique, mais au contraire celui d’un homme qui se souciait du salut de
ses frères.
Un silence embarrassant s’installa un moment, car
les tisserands n’osaient en dire plus. Ce mutisme fut interrompu par Étienne
Le Trébuchet, resté en haut de l’escalier.
— Nous feignons d’être catholiques, seigneur
Locksley, dit-il d’une voix craintive. Nous fréquentons les églises, nous
assistons aux messes, nous nous confessons et nous payons les dîmes ; car
nous n’osons pas nous montrer au grand jour. Cette feinte et ce mensonge étaient
devenus trop lourds à supporter pour moi, car c’est péché de mentir. Voilà
pourquoi j’ai choisi de perdre la vie plutôt que de trahir ce que je sais être
la vérité…
Chacun l’écoutait avec émotion. Brusquement, il
fondit en larmes.
— … Mais une fois en prison, sachant ce qui
m’attendait, j’ai eu peur et j’ai supplié le Seigneur de me libérer.
— La peur est normale, Étienne, intervint
Enguerrand d’une voix grave. Il est long et difficile de s’affranchir de la
puissance de la matière et du démon.
Il plongea à nouveau son regard dans celui de
Locksley pour ajouter d’une voix grave :
— Ne vous trompez pas sur nous, noble
seigneur, nous ne sommes pas des hérétiques, nous sommes des bons chrétiens.
— J’avais compris que vous étiez bogomiles,
grimaça Locksley. J’en ai connu en Palestine.
— Non, les bogomiles nous sont proches, c’est
vrai, mais nous seuls détenons la vérité. Nous sommes des cathares.
Il sourit en désignant la
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