Paris Ma Bonne Ville
sur quelles garanties, étant
cadet ?
— Moi,
dit M. de Nançay, qui incontinent reprit : si du moins je n’étais endetté
jusqu’au cou, vivant au Louvre bien au-dessus de mes moyens, ma solde de
capitaine des gardes ne m’étant payée que quand les caisses du Roi sont
pleines, autant dire jamais. Ha ! Monsieur de Siorac, poursuivit-il en se
lissant du doigt la moustache, laquelle était fine et longue, ce qu’il faudrait
en votre prédicament, c’est qu’une de nos galantes et généreuses dames vous
vête sur sa cassette, comme j’en connais céans qui le font pour les mignons
avec qui elles ont leurs commodités. Mais, hélas, c’est là tout justement le
point ! comment même approcher ces belles et brillantes dames vêtu comme
je vous vois ?
Ha ! lecteur !
Quelles griffes ce discours enfonçait dans mon cœur, moi qui me désespérais
dans le pensement que je ne pourrais, fagoté comme j’étais, affronter le
lendemain M me des Tourelles, laquelle m’avait dit, comme peut-être
on s’en ramentoit, et de me vêtir de neuf, et de me rabattre le poil, le second
commandement étant certes plus aisé à satisfaire que le premier. Ha ! me
disais-je en tournant en gausserie mon chagrin, quelle fée de sa baguette me
pourrait muer mon poil tombé en fastueux habit ! Hélas ! Je le
vois ! On est fort peu de chose en la Cour sans la vêture ! Noblesse,
mérite, savoir, rien ne prévaut au Louvre que la montre ! Il faut
paraître, ou n’être rien !
J’en étais à
ces épines et pointures et mon humeur en mon humiliation très à la vinaigre
quand entra sans toquer dans la pièce un gentilhomme de mon âge, de ma taille
et quasiment de ma tournure, sauf qu’il était de sa face plus beau que je ne
suis, et superbement vêtu du plus émerveillable pourpoint de satin bleu que
j’eusse jamais envisagé, même au Louvre, lequel salua du salut le plus bref M.
de Nançay et dans l’instant même où je l’admirai le plus, me jeta, de haut et
de côté, un regard de si insolent déprisement que, pâlissant en mon soudain
courroux, je le contr’envisageai avec toute la haine en laquelle mon admiration
s’était tout soudain muée, et d’autant plus forte et folle que le quidam
m’avait d’abord plus séduit comme taillant la splendide figure que j’eusse
voulu à la Cour montrer. Le gentilhomme resta béant de mon œillade et comme il
redoublait de hauteur à mon endroit, je la lui rendis derechef avec usure, mon
œil bleu étincelant, à ce que Nançay me dit plus tard, si bien que de nos yeux,
nous barguignâmes je ne sais combien de pistolétades qui nous eussent l’un et
l’autre étendus raides si la poudre avait pris le relais des regards. Tant est
qu’à la fin, l’inconnu, sentant le ridicule de prolonger cet étrange
prédicament, me tourna le dos, ce dos même me témoignant l’infini dédain qu’il
pouvait mettre en sa roideur et en ses épaules haussées. Mais moi, de rage
frémissant, je m’avançai alors sur la même ligne que ce superbe et, faisant un
profond salut à M. de Nançay, je lui demandai mon congé et, me relevant,
décochai à l’inconnu en ma soudaine retraite, et comme à la Parthe, un coup
d’œil si meurtrier que c’est merveille s’il ne chut pas tout à trac sur le
carreau.
Hélas, c’est
en moi que cette flèche-là resta fichée, navrant mon âme aux déprisements si
peu accoutumée, fort outré que j’étais que ce beau fat de cour m’eût osé piétiner
à la seule vue de mon pourpoint. Sanguienne ! Ce n’est pas de la pointe de
mon regard mais de celle de mon épée, et sur le sang de son cœur, que j’eusse
voulu me revancher ! Je me le rugissais en mon for, les lèvres serrées
comme cordes d’arbalète, les poings, en mon pensement, crispés sur les poignées
de mes armes tandis que, ivre en mon fol courroux, et les tempes me battant, le
corps roide et les muscles bandés, je saillais comme fol de la pièce où m’avait
reçu le capitaine des gardes. Il me fallut un long moment, mon œil étant
trouble et ma voix, en mon gargamel, étranglée, pour que je pusse voir, ouïr et
suivre mes bons compagnons par les rues et ruelles de la capitale, jusqu’au
logis de Maître Recroche, tant cuit, recuit et rebouilli en ma fureur que, tout
au long de ces pas et démarches, je ne dis mot ni miette, craignant de hurler
comme loup si, d’aventure, j’ouvrais le bec. Et au logis enfin, insupportable à
moi-même, et ne souffrant plus
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