Paris Ma Bonne Ville
l’autre bout, toute moulue et rompue !
À quoi elle
rit.
— Ha !
Monsieur ! cria-t-elle, que vous êtes donc divertissant ! Mais hélas,
cela ne se peut ! Mon mari est compagnon boucher, et tant jaloux et
furieux qu’à toute heure du jour, il irrompt céans, son grand cotel à la main,
criant : « Où est Babeau ? Si la mâtine me plante des cornes, je
lui mettrai les tripes à l’air ! » Raison pourquoi, Monseigneur, dit-elle
avec une révérence, tant beau et bien membré que vous soyez, je ne passerai
point par la roue du moulin...
Ceci fut dit
avec tant de gentillesse que je n’en fus aucunement piqué, n’ayant parlé que
par badinage, et voulant voir jusqu’où iraient les tendres soins de la
drôlette.
Cependant, la
Babeau m’ayant mis nu, m’observa fort curieusement et de fort près, ne laissant
pas un pouce de peau sans l’envisager. Après quoi, elle voulut bien me déclarer
aussi sain et gaillard qu’aucun fils de bonne mère en France, et me prenant par
la main, m’amena jusqu’à la cuve à baigner.
— Es-tu
sûre, Babeau, dis-je, balançant avant d’y entrer, que ton eau est tant propre
et saine que moi ? Vient-elle de la rivière de Seine ?
— Y
pensez-vous, Monsieur, cria-t-elle, la rivière de Seine ! Et pourquoi pas,
pendant qu’on y est, le cloaque de la place Maubert ? Cette eau-là vient
de notre puits, lequel est tous les ans curé.
Je
m’immergeai, conforté par cette assurance. Ha ! lecteur ! Quel
paradis d’avoir un corps quand on le baigne ! Comme l’eau claire et
caressante vous le fait délicieusement sentir en toutes ses fermes et pleines
parties ! Dieu sait par quelle bonne fortune, alors que les soins que nous
prenons de notre carcasse demandent par ailleurs tant de labour et de peine –
comme de nous abstenir du trop boire ou du trop manger –, celui-là nous
vient tout à l’aise, si plaisant et si commode que le laver est tout ensemble
un devoir et une volupté. Ha ! certes ! Je ne puis souffrir ces
sottards qui inventant un devoir inverse en leur embrumée cervelle, vont
répétant qu’un gentilhomme se doit d’avoir l’aisselle un peu surette et les
pieds fumants. Havre de grâce ! Faut-il puer pour avoir le droit d’être
noble ? Et quelle gloire est celle-là dont une Princesse du sang se paonnait,
se vantant de ne s’être pas décrassé les mains de huit jours ? Et que
penser de cette Duchesse dont on disait à la Cour en se gaussant que si on lui
voyait les ongles noirs, c’était qu’elle était accoutumée à se gratter le
corps. Sanguienne ! À ces très hautes et puissantes dames qui pulvérisent
leur peau encroûtée de tous les parfums du monde, je préfère mille fois la
rustique Babeau, ses beaux bras rouges et son robuste corps lavé d’eau claire,
luisant comme un écu tout neuf. J’ai ouï dire qu’un prêtre papiste, en chaire,
dénonçant l’immoralité des étuves et requérant leur suppression, louait saint
Benoît Labre de sa crasse, de sa vermine, de l’odeur infecte qu’il exhalait,
laquelle était si nauséeuse qu’elle faisait raquer les mendiants les plus sales.
Dieu bon ! L’homme peut-il tomber plus bas en son inhumaine folie ?
Faut-il empester pour être un saint ? N’y a-t-il point de salut hors
l’ordure ?
Après m’avoir
laissé un temps folâtrer et dilater dans la chaleur de l’onde, la Babeau me
requit de me lever, et me savonna exactement toutes les parties du corps sans
en excepter aucune, ce qui me fut, comme bien on pense, de vif et grand plaisir
et d’autant que cette suave onction me ramentevait ma bonne Barberine quand, à
Mespech, elle récurait en un baquet, de ses fortes et douces mains, mes
enfances impubères. Et combien plus délicieux ce savonnage-là en mon âge viril,
Babeau, que ce fût la courtoise coutume de son état, ou qu’elle fût sans détour
en sa rusticité, ne laissant pas de louer bien haut les objets de son
nettoiement, ajoutant aux mignonneries de sa dextre les caresses du verbe.
« Ha Monsieur, disait-elle, quelles fortes épaules ! Et quel profond
poitrail ! Que musculeux vos bras et que longues vos jambes ! Que
bien fournies, vos toisons, et du blond le plus beau ! N’est-ce pas pitié
d’avoir à rabattre ce poil pour complaire à nos raffinées ! Où sont
l’usance et le profit de faire de l’homme une femme, et bien vainement, car
dans trois jours, vous serez plus piquant qu’hérisson dans le lit, alors que
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