Paris Ma Bonne Ville
père,
lequel a si galamment combattu quand nous avons repris Calais aux Anglais.
Mais, Sanguienne ! Ne peux-je prononcer ce nom de Calais sans que m’en
batte le cœur ! Et sans me ramentevoir la vaillance de nos grands
capitaines sous ses murs ! Le Duc de Guise ! D’Aumale !
D’Andelot ! Thermes ! Bourdin ! Senarpont ! Combien sont
morts déjà ! Que ces noms retentissent tendrement en ma remembrance !
Mais nul plus haut et clair que celui de Siorac ! Vertudieu ! J’étais
au coude à coude avec lui dans l’eau glacée jusqu’au col quand on traversa le
fossé pour forcer la brèche que nos canons avaient ouverte dans le château de
Calais ! Et transi autant qu’un autre, Siorac se gaussait ! Vous
m’avez ouï, il se gaussait, abondait en mille saillies et badinages, tant gai
et gaillard dans les dents de l’extrême péril était ce gentil compagnon !
Lion au combat, colombe en la victoire ! Et la ville prise, si bénin et
piteux qu’il ne souffrit de ses soldats ni carnage, ni forcement de
filles ! Mais, poursuivit Nançay en me donnant une brassée derechef et me
mettant les deux mains aux épaules pour mieux m’envisager, il est là ! Je
le vois ! Vous avez son riant œil bleu, ses traits, son port, sa taille
redressée et je ne sais quelle insatiableté à vivre et à aimer qui de lui
émanait ! Ha ! Mon fils ! Ne me dites point que Siorac est de
présent chenu, chagrin et de tristesse chaffourré ! Je ne vous croirais
point !
— Capitaine,
dis-je, il est quasi tant vert et tant vigoureux que vous-même, encore qu’il
soit de dix ans votre aîné.
— Ha !
dit Nançay avec un petit brillement de l’œil, court-il toujours le
cotillon ?
— Comme fol !
— Est-il
prospère ?
— Il est
fort étoffé !
— On ne
le dirait point à voir votre pourpoint ! dit M. de Nançay en riant et
encore que sa remarque me piquât fort, je n’en laissai rien voir et ris aussi.
Havre de grâce ! reprit-il, un pourpoint à l’ancienne mode et qui pis est,
reprisé ! Au Louvre ! À la Cour ! Tudieu ! Si nous étions
de même taille et carrure, je vous prêterais un des miens !
Et combien
qu’il rît, je voyais bien qu’il prenait la chose fort à cœur et s’en faisait
pour moi du souci. De Calais et de mon père, il avait parlé en soldat. Mais de
mon pourpoint, il parlait de présent en homme de cour. Et en sa sollicitude,
voulut incontinent me donner l’adresse de son tailleur afin que je puisse, à la
chaude, rhabiller mon délabrement. De force forcée, il me fallut lui confesser
que mon père ne m’avait pas garni de pécunes assez pour que je fisse face à ces
débours.
— Ha !
dit-il, Siorac est toujours autant ménager de son or ! Et je gage,
huguenot comme jamais.
— Inébranlablement.
— Hélas,
dit M. de Nançay, c’est là que j’ose penser qu’il erre. Un capitaine devrait
laisser aux clercs les choses de la religion. Il est vrai qu’à y réfléchir un
peu, la nôtre abonde en absurdités manifestes. Mais bah ! Il n’est que de
les avaler avec le reste. Pour moi, j’ois la messe sans y penser le dimanche et
communie une fois l’an. Le monde n’en veut pas davantage. « Pour vivre
heureux, comme dit Ronsard, il n’est que la simplesse. »
« Et la
faveur du Roi », ajoutai-je en mon for, et pas plus à Ronsard qu’à M. de
Nançay, elle n’a jamais failli, ce grand poète hurlant avec les loups aux
chausses des réformés. Mais de la religion de mon père dans laquelle j’entends
demeurer (quoique sans zèle aucun), oyant ce que j’avais ouï du capitaine des
gardes, je ne voulus pas disputer et m’accoisai. Ce que voyant, M. de Nançay,
dont l’œil gris était fin et futé, me demanda mon affaire. Je lui dis tout, et
mon duel, et le procès qu’on me faisait, et la grâce du Roi que je venais
quérir céans.
— Ha !
dit-il, pour vos entrées au Louvre, il n’est que vous me les demandiez :
c’est chose faite. Et de votre duel je parlerai dans mes alentours pour que
cela remonte jusqu’au Roi et qu’il soit en votre faveur prévenu. Mais cela n’y
pourra suffire. Il faudra vous présenter au Roi. Et encore qu’il soit moins
sourcilleux sur la vêture que le Duc d’Anjou, je ne peux rêver vous présenter à
lui comme vous voilà fait. Tout revient donc à votre pourpoint, et aux pécunes
qu’il vous faut pour en faire façonner un nouveau.
— Mais,
dis-je, qui me pourrait prêter ces pécunes et
Weitere Kostenlose Bücher