Paris Ma Bonne Ville
relevât, et
c’en eût été bien fini de la fiance que le maître-paumier plaçait en moi, et de
ses jaseries où je trouvais prou à gloutir, tant cet homme qui était de la Cour
sans en être savait de choses sur ses princiers chalands.
À mieux
envisager les batteurs d’esteuf devant moi, il me parut qu’en effet le sourire
de Guise était tant faux que celui de Téligny, candide et non rogné. Lequel
Téligny, qui venait droit de son Rouergue, était de son corps agile assez et de
sa face aimable et bénin, et me sembla-t-il, se paonnant assez (en la
simplicité de son cœur) d’être à la Cour tant bien reçu et caressé par le Roi
et les grands.
— Et,
dis-je, quel est ce gentilhomme qui fait le juge de la partie et paraît tant
impatient que Nançay vienne pour faire un quatre ?
— Le
Chevalier d’Angoulême. Mais on l’appelle le bâtard pour ce qu’il est le fruit
d’une fornication entre Henri II et une Irlandaise.
— Il est
fort noir, dis-je : le cheveu, le sourcil, l’œil, la couleur de peau.
— Et
l’âme, dit Delay. Observez ses yeux, fort enfoncés dans l’orbite et fort
rapprochés l’un de l’autre, signe d’une complexion tirant sur le cruel.
Toutefois, le Roi aime ce noiraud si noir, le veut plus proche de lui que
chemise de peau, et lui confie ses basses œuvres.
— Ses
basses œuvres ?
— Nul
n’ignore céans, me dit Delay à l’oreille, que c’est au bâtard que le Roi
commanda de tuer le Guise, quand celui-ci eut l’impertinence de besogner
Margot. Si le Guise ne s’était pas incontinent marié, le bâtard l’eût occis.
Ha !
pensai-je, en quel monde la fortune m’a jeté ! Le Guise égorgerait Téligny
sur un signe du roi, et sur un signe du roi, le bâtard eût dépêché le Guise. Et
cependant, ils sont là tous trois à jouer à la paume, courtois et souriants.
Sanguienne ! Quelle Cour est-ce donc que celle du royaume de France !
Ce ne sont que tendres brassées, amicales œillades et suaves paroles. Mais tel
qui vous sourit lundi, vous dague le mardi !
Sur cette
réflexion, me ramentevant mon duel avec Quéribus (dont pour dire le vrai,
quelque effort que j’eusse fait, le pensement ne m’avait pas quitté de tout le
temps que j’avais parlé au paumier), je me sentis fort peu assuré de mon avenir
en cette ville traîtresse, ce qui ne laissait pas que de me chagriner
excessivement, aimant de si grande amour notre terrestre vie.
— Ha !
Je vois bien ! dit le paumier Delay, le bâtard s’impatiente que Nançay ne
survienne. Mon noble Monsieur, consentiriez-vous à faire le quatre, si ces
gentilshommes le veulent ?
Je fus tant
étonné que je ne pus que je n’acquiesçasse, et voilà le rond maître-paumier
qui, se levant, traverse, bondissant comme esteuf, le terrain de paume et va
bourdonnant comme frelon à l’oreille du Guise, du bâtard et de Téligny.
Incontinent, il me revint dire que c’était fait, et que j’eusse à me mettre en
ma chemise pour ce que, dit-il à ma très grande vergogne, « je n’aimerais
pas que ces très hauts seigneurs vous vissent en ce pourpoint ».
Après quoi,
m’ayant mis en main une fort bonne raquette, le paumier me présenta au bâtard,
au gendre de l’Amiral et à Guise, dans le camp de qui il me plaça de son
autorité.
— Ha !
Monsieur de Siorac ! dit le Duc de Guise fort gracieusement, c’est pour
moi un grand bonheur que de connaître le fils du Capitaine de Siorac dont
jamais mon père ne faillit à citer le nom quand il racontait le siège de
Calais : récit que je l’ouïs faire plus de cent fois en mes enfances.
— Monseigneur,
dis-je en lui faisant un profond salut, je l’ai ouï aussi raconté par mon père,
lequel avait les talents et la vaillance du vôtre en grande vénération.
Ce qui, pour
vrai que cela fût littéralement, n’était des deux côtés qu’eau benoîte de Cour,
le beau Duc sachant bien de quel côté était mon père, et lui-même allié juré du
pape et de l’Espagnol, ne rêvant d’accéder au trône de France que dans le sang
des huguenots : long dessein qu’il dissimulait sous l’aimable masque de sa
courtoisie – son âme vaine étant patiente de tout, hors de ne pas régner.
Je ne jouai
que quelques instants à la paume, assez pourtant pour que le Guise me fît de
grands compliments sur mon jeu et voulût bien me dire, au moment où, M. de
Nançay survenant, je dus quitter l’arène, qu’il serait content que je fusse
Weitere Kostenlose Bücher