Paris Ma Bonne Ville
lui coûter la vie, dit Delay à basse voix avec un
sourire friand. Le Roi faillit l’occire quand il découvrit son clandestin
commerce avec la Princesse Margot.
À vrai dire,
tout ceci, même à Mespech, ne nous était pas déconnu, grâce aux lettres de
d’Argence, mais je laissais jaser le bonhomme puisqu’il y avait appétit,
pensant que je trouverais en ses ivraies quelques bons grains que je pourrais
picorer.
Cependant, je
considérais le Duc à la paume et le trouvai fort gaillard, agile et dextre, et
sa face, un apte miroir à tourner les têtes des alouettes de cour, ayant l’œil
velouté et fendu, le trait fin, et une mignarde moustache, joliment retroussée
sur des lèvres dessinées à ravir.
Il s’en
fallait pourtant que sa beauté allât avec ses talents, lesquels, à ce que
j’avais ouï de la frérèche, étaient fort minces, le Guise ne s’étant que bien
mal illustré du côté papiste en nos guerres civiles, n’ayant hérité de son père
ni le génie militaire, ni la politique finesse. Et pourtant, c’était merveille
comme l’esprit de parti remédiait à ses insuffisances. Il n’était en l’Église
catholique chaire de cathédrale, école, sacristie, séminaire ou même
confessionnal qui ne résonnât quotidiennement de son idolâtre éloge, le Duc
passant dans le royaume pour le seul irréfragable défenseur de la foi vaticane,
Charles IX étant peu sûr, Coligny ayant son oreille. Le Duc laissait
entendre que, descendant de Charlemagne, il avait davantage de droits au trône
de France que Charles IX. Moines et curés allaient partout le répétant en
murmures feutrés, tant est qu’à la fin, ce grand et beau Duc ne pouvait
paraître ès rues de la capitale, superbe sur son étalon noir, que le sot peuple
n’accourût de toutes parts pour lui baiser les mains, les pieds et le sabot de
son cheval. Étrange Paris qui, catéchisée par ses prêtres, se façonnait un
autre Roi que le Roi de France !
— Vous
observerez, me dit le maître-paumier Delay, que M. de Téligny n’a pas un revers
fort bon et que son service est peu sûr. Jouez-vous, Monsieur de Siorac ?
— Beaucoup
mieux que Téligny. Un peu moins bien que Guise.
— Et
votre joli frère ? dit Delay en se penchant pour mieux envisager mon
Samson, lequel rêveux, songeard et fort chagrin, m’imaginait déjà, je gage, une
épée en plein cœur.
— Fort
peu.
— Est-il
toujours si accoisé ?
— Toujours.
— N’est-ce
pas émerveillable ! dit Delay. Il est tout juste le rebours de moi qui
n’ai pas d’heures assez dans la journée pour y dégorger les paroles qui me
gonflent les joues.
À quoi je ris,
et il rit aussi, étant de sa complexion assez bonhomme encore que fort
outrecuide et rusé. Voulant détourner son attention de mon frère tant je
craignais de celui-ci quelque discours malencontreux sur le sujet de la
religion, je lui dis :
— D’où
vient que Guise consente à jouer avec le gendre de l’homme dont il cuide qu’il
fit occire son père ?
— Le Roi
le veut ainsi, dit Delay, et prêche la réconciliation. M. de Téligny a servi
d’intermédiaire entre Coligny et le Roi avant que se fît le présent
accommodement entre les huguenots et nous. Et de ce temps, le Roi accable de
ses bontés ce Téligny, lequel les prend pour argent comptant.
— Opinez-vous
qu’il ne le devrait pas ? dis-je en tournant la tête et en envisageant
curieusement le maître-paumier.
— Mon
gentilhomme, dit Delay en souriant d’un seul côté de la face, à la Cour on ne
doit faire fond sur rien. Tout est mouvant : la faveur et la défaveur. En
outre, qui est aimé d’un roi, se trouve haï de l’autre.
— Quoi !
dis-je béant, mais nous n’en avons qu’un !
— Nous en
avons quatre, dit Delay à voix basse : le Roi sacré et oint. Le Roi de la
Reine-Mère : le Duc d’Anjou. Le Roi des huguenots : Coligny. Et
Guise, le Roi de Paris.
— À le
considérer à la paume, dis-je sotto voce, le Roi de Paris fait mille
grâces au gendre du Roi des huguenots. Voyez comme il lui sourit et paraît
quasi vergogné de lui gagner tant de points.
— Il lui
sourit, dit Delay, mais s’il ne craignait l’ire du Roi, il l’égorgerait à
l’instant comme un poulet. Et Coligny aussi. Et tous les hérétiques.
La merci Dieu,
Delay avait prononcé tout bas ces paroles de sorte que mon gentil frère ne les
ouït pas. Sans cela nous eûmes été en grand danger qu’il ne les
Weitere Kostenlose Bücher