Paris Ma Bonne Ville
Mais je
suis, moi, d’une infinie débonnaireté, et ne requiers la mort de personne au
nom de la religion de Guillaume ou Gautier, fût-elle papiste ou réformée.
Siorac, avez-vous bien ouï Maillard ? Un huguenot m’a prêté cent écus. Je
l’encontre. Il me réclame son dû. Je l’occis. Ma dague devient dès lors
« le plus sacré des glaives ». Et me voilà sauvé de la hart, absous,
et promis sans purgatoire au séjour des bienheureux. Cuidez-vous que Maillard
soit le seul à prêcher cette doctrine-là ? À la vérité, le huguenot a
remplacé le juif dans la détestation de notre Sainte Église. « Tue ! Tue !
Tue ! » Voilà ce qui se dit, et se crie, et se huche chaque dimanche
en tous les prônes du royaume, ceux des vôtres ne valant pas mieux !
— Les
miens !
— Ha !
Siorac ! La Michelade ! Et je ne sais combien d’autres atrocités
huguenotes ! Mi fili, oyez bien ceci : toute religion ne peut
qu’elle ne soit tyrannique et, en ses effets, cruelle, pour ce qu’elle prétend
parler au nom d’une vérité absolue, laquelle on ne peut donc récuser sans
offense capitale.
— Ha !
Fogacer ! dis-je, vous parlez là des zélés et non des bonnes et honnêtes
gens.
— Mais
qui sont ces bonnes et honnêtes gens ? dit Fogacer, l’œil tout soudain
aigu. Feu La Boétie, Montaigne, Ambroise Paré, Ramus, notre pauvre maître
Rondelet, Pierre de l’Etoile, Michel Servet que brûla votre Calvin en Genève, vous,
moi, toutes gens qui voulons mettre un peu de raison dans le pensement des
hommes et avancer le savoir du siècle. Mi fili, répondez !
Iriez-vous sacrifiant la vie d’un seul papiste pour faire triompher votre
Église ?
— Ha que
non ! criai-je sans balancer, comme si la réponse se fût trouvée toute
prête en mon for, et à mon insu, de longtemps délibérée.
À quoi,
Fogacer m’envisageant, l’œil fort brillant, et un sourire sur ses sinueuses
lèvres non point tant sardonique qu’amical, me dit d’une voix basse et comme
étouffée :
— Vous
êtes donc bien moins croyant que vous le cuidez être, Siorac, puisque vous
récusez la victoire de votre foi au prix de la vie d’un seul homme.
— Mais je
crois ! dis-je, comme ébranlé pourtant par le sentiment qu’il venait d’exprimer
et qui se présentait pour la première fois à mon entendement avec une nouveauté
qui en décuplait la force.
— Je ne
sais, dit Fogacer. Je ne sais si vous croyez, ou seulement croyez croire. Ou
encore si vous n’êtes pas d’un parti bien davantage que d’une Église, ce parti
étant celui de votre père, lequel vous chérissez de grande amour.
À ceci qui
m’émut et me laissa tout songeux, je ne répliquai rien, me proposant d’y rêver
à loisir – loisir que je n’eus pas, loisir que nous n’avons jamais,
l’existence nous chevauchant et nous éperonnant continuement d’un besoin à un
appétit, d’un appétit à une amour, d’une amour à une ambition, tant est que
nous atteignons enfin le bout de notre chemin sans avoir rien résolu de nos
traverses intimes, ce qui est vrai, hélas, même à l’âge où j’écris, mon ruban
de vie bien dévidé déjà, et pourtant tout autant incertain et douteur qu’en ce
jour d’août 1572 où je débattis avec Fogacer de la cruauté des croyances.
— Fogacer,
dis-je au bout d’un moment, je suis, comme vous savez, fort tracassé de mon
infélice et malheureuse grâce. Pensez-vous que par Anjou je pourrais atteindre
la Reine-Mère, et celle-ci prévenir le Roi en ma faveur ?
— Ha !
la Reine-Mère ! dit Fogacer, la Reine-Mère ne pense qu’à soi et ne craint
que pour soi. Imaginez, Siorac, l’humiliation de son règne où même dans le lit
d’Henri II, elle n’était pas la première. Il meurt, elle prend le noir
pour ne le plus quitter. Elle prend le pouvoir aussi. Voici Catherine régente,
et sous François II comme sous Charles IX., dominant ses fils par ses
malices, ses cajoleries et ses larmes, elle règne, mais non point sans partage
ni péril, menacée à dextre par les Guise, à senestre par les huguenots. C’est
une femme forte, mais en ses treize ans de pouvoir, elle n’a cessé de trembler,
et tremble ce jour comme jamais.
— Mais de
quoi ?
— De
perdre sa seule grande amour : le sceptre. Votre Coligny a étourdi le Roi
par le rêve guerrier de cette expédition des Flandres. Charles IX la veut,
ne la veut plus, et la veut derechef. Et si Coligny
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