Paris Ma Bonne Ville
moins encore. Nous
eussions dû les quitter sur les huit heures si le loueur nous avait amené à
temps la coche que voilà. Mais il n’y a pas à se fier à la parole de ces
coquins. Monsieur de Siorac, je vous prie d’espérer un petit. Je vous annonce.
Ha, pensai-je,
je ne trouve mon Angelina que pour la perdre ! Et encore ne me dois-je pas
trop lamenter de la fortune, car sans l’impertinence du loueur, j’eusse failli
tout à plein à l’envisager. Sur cette consolation qui me confortait peu, le majordomo réapparut, un peu moins accueillant, me sembla-t-il, qu’à notre
première encontre, et me priant de le suivre d’un ton poli, mais l’œil baissé,
il me conduisit en un petit cabinet où, après un salut un peu court, il me
laissa, marri de ce changement d’humeur qui ne présageait rien de bon. Et en
effet, quand l’huis s’ouvrit, M. de Montcalm marcha vers moi, un souris aux
lèvres mais l’œil froidureux assez, l’air pressé et expéditif. Sans faire mine
de s’asseoir, il me dit comme je me levai :
— Ha !
Monsieur de Siorac, que je suis aise de vous voir ! (Mais, sanguienne, que
peu il y paraissait !) Je n’ai point oublié les grandes obligations que je
vous dois (et jamais gratitude ne fut plus ingratement exprimée) et n’était pas
que vous arrivez céans comme j’en dépars, ayant mon procès gagné, j’eusse aimé
vous avoir à ma table et vous consacrer plus de temps que de présent ne peux.
— Monsieur
le Comte, dis-je, je serais au désespoir de vous délayer, mais ayant su par
bonne fortune où vous étiez logé, j’ai voulu vous présenter mes devoirs, étant
moi-même en Paris depuis le début de ce mois pour y quérir la grâce du Roi.
— Je l’ai
appris de Nançay le premier jour où je vins au Louvre, dit M. de Montcalm, et
j’ai fait de sincères vœux pour que vous ne faillissiez point en votre
entreprise.
Ha !
pensai-je, ces « sincères vœux » n’allaient point, semble-t-il,
jusqu’à s’enquérir du logis de l’homme qui, cinq ans plus tôt, l’avait arraché
aux caïmans du bois de Barbentane, le sauvant de la mort (et sa femme et sa
fille du déshonneur) aux mains de ces gueux sanguinaires. Ce pensement me
gelant le bec, je m’accoisai et envisageai en silence M. de Montcalm ; il
me parut lui aussi pâtir à ce moment de quelque embarras, y ayant en lui une
contradiction manifeste entre son apparence qui était imposante assez, étant de
haute taille, le sourcil broussailleux, l’œil perçant et la face sévère, et son
intime for, lequel était moins assuré qu’il l’eût voulu, et peut-être lui
baillait quelques épines et pointures à reconnaître si mal les obligations
qu’il proclamait si haut me devoir. Tant est que ne se décidant point à me
donner mon congé – si fort qu’à cet instant il le désirât – et
moi-même ne le prenant pas, pour ce que je voulais voir sa fille – ce que
j’entendais bien qu’il ne voulait permettre, étant si contraire à nos projets –,
nous restions ainsi confrontés, debout, muets, et polis, comme attendant qui
allait se décider à relancer l’esteuf dans le camp de l’autre. Et nous fussions
demeurés ainsi face à face comme deux augures (encore que peu enclins à rire)
si un gentilhomme richement vêtu et d’assez bonne mine, quoique un peu gros par
le travers du corps, n’était entré dans le petit cabinet en disant :
— Monsieur
mon père, il est temps, M me de Montcalm et Angelina ont pris place
dans la coche et vous espèrent.
— Monsieur
de Siorac, dit alors M. de Montcalm prenant la balle à la volée, ce gentilhomme
est M. de la Condomine qui nous accompagne à Barbentane où il doit marier ma
fille.
Je restai sans
voix à ouïr cette affreuse nouvelle, si calmement débitée, et je me sentis à ce
point pâlir que je fis à M. de la Condomine un salut plus profond qu’il n’eût
fallu, mais qui eut du moins l’avantage de me remettre un peu de sang à la
face.
— Monsieur,
dis-je enfin en tâchant d’affermir ma voix, je suis votre serviteur.
À cela M. de
la Condomine, qui avait l’air d’un grand fat et qui peut-être savait ce qu’il
en était d’Angelina et de moi, ne dit ni mot ni miette et ne répondit que par
un salut. Sur quoi, envisageant M. de Montclam œil à œil, et me décidant à
brûler mes vaisseaux pour ce que je voyais qu’on voulait dans le néant me
rejeter tout à plein, je dis en articulant les mots avec force
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