Paris Ma Bonne Ville
Normande venait à
peine d’arriver de son voyage, et aussi fraîche pourtant, et vigoureuse, que si
elle saillait de son lit.
— Tant
peu me chaudrait votre vengeance, mamie, dis-je, et à vous aussi, si Samson
n’était plus vif. Ma sœur, il faut résoudre et promptement. Samson ne peut
demeurer céans, criant ès rues à tous échos qu’il est de la religion et qu’il
abomine les idoles et les saints.
— Mais
que faire ? Que faire ? cria Dame Gertrude, fort déconfortée.
— Je vais
vous le dire : laissez là les fêtes d’un mariage qui aussi bien vous
ragôute fort peu. Prenez mon Samson et l’emportez en votre giron en
Montfort-l’Amaury. Mettez-le le jour parmi les bocaux de l’officine ; la
nuit où vous savez ; le dimanche, à messe. Et Vertudieu ! Il sera
sauf ! Céans, je crains le pis, s’il y demeure.
À quoi Dame
Gertrude du Luc s’accoisa, la paupière baissée sur son œil vert (qui tant me
ramentevait celui d’une belle chatte que nous avions à Mespech) et comme elle
se mordait les lèvres, je vis bien qu’elle balançait entre les joies qu’elle
s’était promises des splendides fêtes du mariage princier et d’un autre côtel,
de la grande, quoique peu fidèle, amour qu’elle nourrissait pour mon joli
Samson. En outre, la voyant attifurée comme une Reine, et quasi aussi
resplendissante en ses beaux affiquets que M me des Tourelles,
j’imaginais qu’elle avait en la capitale autant appétit à être vue qu’à
voir ; qu’elle eût voulu, pour ses emplettes, courre à loisir les
boutiques de la Grand’Rue Saint-Honoré et du pont Saint-Michel ; mettre un
nez à la Cour où sa beauté eût pu appeler de galantes encontres ; et non
seulement envisager les merveilles du royal mariage mais mieux encore, les
conter à sa parentèle de retour en sa Normandie. Au lieu de cela, je l’invitais
à s’aller serrer dans un désert de campagne où ne voyant pas le jour mon joli
frère (enterré qu’il était dans ses bocaux), elle n’aurait d’autres ressources
que de s’apparesser au lit comme marmotte sous terre afin que de se refaire des
forces pour la suivante nuit.
— Ma
sœur, dis-je froidureusement assez, quoi que vous décidiez, pour moi sachant
que le Maître Béqueret veut bien de mon Samson, et Samson ayant, lui, grand
appétit à labourer en l’apothicairerie, pour ce qu’il s’ennuie céans à périr,
j’ai résolu de le mener demain à Montfort-l’Amaury sans tant languir ni
délayer, que vous soyez ou non des nôtres.
— Ha !
mon frère ! cria-t-elle en se levant, une opportune larmelette faisant
resplendir ses yeux verts, que vous êtes avec moi, roide, méchant et
tabusteur ! Fi donc ! poursuivit-elle, est-ce là reconnaître la
grande et fraternelle amour que je nourris pour vous ? À peine suis-je en
Paris que vous m’enlèveriez Samson, ou si j’entends le suivre, vous m’ôteriez
mes belles fêtes ?
— Ha !
Gertrude ! criai-je, bien je vous connais là ! Vous voulez tout
avoir ! Et Samson ! Et les fêtes ! Et que sais-je encore ?
Mais ma sœur, poursuivis-je, que ne départez-vous ce demain pour
Montfort-l’Amaury avec mon Samson et y demeurez avec lui une semaine. Après
quoi vous revenez seule, je dis seule à Paris, pour les fêtes princières, et
les fêtes passées, incontinent vous rejoignez Montfort.
— Ha !
mon frère ! Quel saint vous faites ! cria-t-elle. Vous avez trouvé la
seule heureuse issue à mon prédicament !
Ce disant, la
larmelette tout à plein évaporée par sa bondissante liesse, elle me piqua deux
ou trois poutounes sur la face et me laissant, virevolta dans le large
balancement de son cotillon en criant :
— C’est
donc résolu ! Je pars ! Je pars ! Ha ! mon frère !
J’ai des ailes ! Où est cet ange de Dieu que je l’emporte ?
Et elle, me
suivant tout courant dans l’escalier, et moi la devançant, mais la face tournée
vers elle, je la vis, pour aller plus vite, soulever des deux mains ses belles
jupes, son beau teint blond rosissant et son œil vert plus vif que chatte
tenant moineau en ses petites dents.
De la
chambrechette où Samson dormait encore, Giacomi étant, je gage, à ses
dévotions, elle ne vit rien. Ni le plancher mal raboté, ni le mur sale, ni
l’infime exiguïté, ni le mobilier misérable, ni le fenestrou ouvert sur le
cimetière des Innocents, rien, dis-je, que mon joli frère, dormant nu sur sa
couche en la touffeur de l’août. Il est
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