Paris Ma Bonne Ville
et sur le ton
d’une courtoisie tant appliquée qu’on y pouvait voir une sorte de défi :
— Monsieur
le Comte, je vous serais infiniment obligé si vous vouliez bien me permettre de
présenter mes devoirs à M me de Montcalm et à votre fille avant votre
département.
M. de
Montcalm, qui était de sa complexion colérique, rougit de la rage que je lui
donnais de lui mettre ainsi le cotel sur la gorge, ne pouvant en honneur refuser
à l’homme qui lui avait sauvé la vie la civilité d’un adieu. Mais ne voulant
pas la lui bailler non plus, il prit le même parti que celui qu’il avait élu
comme gendre et me faisant sans piper un beau salut, il me tourna le dos, prit
M. de la Condomine par le bras et saillit du cabinet, me plantant là.
Je les suivis
et sortant à leur suite dans la rue des Marmousets, je vis que les tapisseries
de la coche, malgré l’écrasante touffeur de ce midi, avaient été rabattues sur
les portières. Je ne doutai pas que ce fût sur le commandement de M. de
Montcalm pour empêcher qu’Angelina me vît et que je pusse l’entretenir. Indigné
de cette odieuse violence qui était faite à ma bien-aimée et reprenant courage
dans le pensement que M. de Montcalm, qui n’était point mauvais, n’eût pas pesé
à ce point sur sa fille (dont il était tout raffolé) si elle avait consenti à
ses volontés, je ne laissai pas de m’approcher de la coche espérant trouver une
occasion de signaler ma présence. Ce que voyant M. de Montcalm, il murmura
quelques mots à l’oreille du cocher, lequel, montant prestement sur son siège,
parut se préparer à fouetter ses chevaux dès que son maître et la Condomine
auraient pris place en face des dames, ce qui se pouvait faire en soulevant la
tapisserie et sans qu’elles pussent m’entr’apercevoir.
Je pris ma
décision en un battement de cil. Insoucieux d’ores en avant d’affronter un
homme qui venait de me tant rabattre, je fis en courant le tour de la coche et
me présentant à l’autre portière, j’osai soulever la tapisserie qui la
bouchait, et saluant la mère et la fille, et envisageant cette dernière œil à
œil, je m’écriai d’une voix précipiteuse :
— Angelina,
je vous aimerai toujours !
Je ne pus
parler plus outre, le chariot s’ébranlant et M. de Montcalm, de l’intérieur,
huchant comme fol : « Fouette, maraud ! Fouette ! »,
le cocher cingla l’attelage à quatre. Dans le vacarme de ces claquements, des
roues ferrées sur le pavé et des sabots des chevaux, ne pouvant ni me faire
ouïr davantage, ni ouïr ce qu’elle disait (car je la voyais ouvrir la bouche)
je courus à côté de la portière à perdre vent et haleine. Tenant de ma main
senestre la tapisserie soulevée, et de ma dextre dégainant pour donner du plat
de mon épée à une monture qu’un valet d’escorte me voulait en hurlant pousser
sus, je reçus de mon Angelina (les paroles ne nous étant plus d’aucun secours)
un long regard de ses beaux yeux – lesquels luisaient d’un éclat
merveilleux dans la pénombre de la coche où père, mère et prétendant
s’agitaient confusément comme autant de créatures des ténèbres –, regard
où je cuidai lire tout à la fois une confirmation de la foi donnée et la
promesse de s’y tenir dans les dents de la tyrannie paternelle.
C’est le cœur
affreusement navré, tout appétit à vivre disparu, et le nœud de la gorge me
serrant à pâtir que, la coche de voyage emportant mon Angelina au tournant de
la rue, je rengainai, remontai en selle et repris le chemin du logis, encore
haletant et sueux de ma course, les jambes plus que jamais tremblantes, et la
voix en mon gargamel si étouffée que je n’aurais su pour un royaume dire le
moindre mot – mais quel mot de reste eussé-je articulé ? — ma pensée
me défaillant en ma désespérance, le monde devant moi devenu d’un noir d’encre,
et mon existence comme privée de la lumière qui avait lui, ces cinq années
passées, au bout de mon chemin.
Ha !
pensai-je, Angelina ne peut qu’elle ne faiblisse, elle épousera ce grand
sottard, je ne la verrai plus. L’appréhension de cet inouï malheur me poignait
tant qu’elle me le faisait paraître quasi inévitable. Sans souci des passants
des rues, lesquelles je suivais au triste pas de ma Pompée, les larmes, coulant
sans discontinuer de mes yeux, roulaient sur mes joues, et tombaient, grosses
comme des pois, sur mes mains qui tenaient ou plutôt abandonnaient
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