Paris Ma Bonne Ville
mes écoliers, ma vigne et ma Zara. – Ha Moussu !
dis-je, qu’est cela ? Moi en dernier ? – Pour ce que tu me
quitteras quelque jour, Zara, pour mari prendre au porche d’une église. –
Fi donc, Moussu ! criai-je. Point jamais ne me marierai, n’ayant pas goût
à l’homme. – Et à moi pourtant ? dit d’Assas en riant. – Ha
Moussu ! dis-je, c’est une autre affaire. Vous êtes tant bénin, tendre, et
mignonnant qu’il y a à votre commerce une grande commodité. » À quoi il
rit encore, et tout soudain, portant la main à son cœur, il fit un bref cri
comme un oiseau navré, défaillit, se pâma, et fût en la terre tombé si je ne
l’avais soutenu. Hélas ! que ne l’ai-je pu en la vie retenir de ces tant
faibles bras !
— Zara,
ma belle enfant, ne pleure pas ! cria Gertrude du Luc qui paraissait fort
raffolée de sa chambrière. Sur quoi prenant ses fines mains en ses fortes mains
de Normande, elle poursuivit : Zara ! Sèche ces pleurs qui te vont
gâter les yeux ! N’as-tu pas en moi, derechef, une maîtresse et une
amie ?
— Ha !
Madame ! dit Zara, ondulant de tout son corps longuet et gracieux, je suis
toute à vous. Bien le savez.
Mais ce
disant, elle donna de son bel œil, encore luisant de larmes, à Giacomi à qui
elle voyait bien que sa beauté avait porté une botte secrète que tout 1’art du maestro avait été impuissant à parer. Et que Zara pût faire tant de choses
à la fois, verser de vraies et sincères larmes sur le pauvre d’Assas, faire la
belle avec sa maîtresse et jeter Giacomi en ses filets, voilà qui m’étonna
moins quand je la connus davantage, chatte de femme qu’elle était, encore que
son cœur fût si bon.
Zara fut donc
de notre compagnie à souper, ce qui porta notre nombre à sept, Gertrude du Luc
voulant avec nous ès rues déambuler pour ses grandes gambes dégourdir et
ordonnant à sa coche de voyage de nous suivre, dans laquelle Zara obtint de
monter, sous le prétexte d’un pied blessé. Ce qui navra Giacomi, ne la pouvant
en civilité rejoindre, devant sa protection à la dame qui marchait au milieu de
nous sous la garde de nos épées, car la nuit étant tombée pendant que j’étais
dans mes affres, nous avions tous, au sortir ès rue de la Ferronnerie, dégainé.
— Ha !
dit Gertrude, oyant le froissement de nos fers comme nous les sortions du
fourreau, que je suis donc aise que ces grandes lames pourvoient à la défense
de mon petit corps !
Oui-da pour le
petit corps ainsi mal dénommé ! Car il était de haute taille, bien membré
et fort bien rondi, mais connaissant ma Gertrude, bien je savais le
contentement que nous donnions à présent à ses rêves à l’entourer ainsi de nos
dards. Tant est qu’elle s’accoisait, ravie en ses jolis songes, et qu’elle
resta ainsi un fort long temps avant que je lui dise :
— Mamie,
si cette coche, comme je cuide, est à vous, j’aimerais vous escorter avec tous
nos chevaux à Montfort-l’Amaury, pour les y laisser aux mains d’un laboureur
qui les pourrait nourrir au pré sans me tondre à ras comme le Maître Recroche.
— Et
comment retournerez-vous en Paris ? dit Gertrude en s’appuyant de la dextre
sur mon bras gauche, ayant accoutumé d’ajouter à sa taille des talons fort
hauts qui la faisaient sur les pavés trébucher. ,
— Mais
avec vous, et dedans votre coche, quand vous reviendrez pour les fêtes du
mariage royal, laissant Samson à Montfort, car après ces fêtes, j’en ai pris
mon parti irrévocablement : nous quitterons la capitale, que j’aie ou non
ma grâce, et avec vous, derechef en votre coche, jusqu’à Montfort, si cela vous
agrée.
— Monsieur
mon frère, dit-elle en me serrant suavement le bras (ne pouvant se tenir de
mignonner un guillaume ou gautier dès qu’il passait à portée de son
artillerie), je serais aux anges d’avoir à l’alentour une tant forte escorte
d’hommes beaux et vaillants.
Les choses se
passèrent donc ainsi que je viens de dire, et tant sont ambigueuses les
traverses de la fortune qu’à ce jour encore je ne saurais décider si j’eus tort
ou raison (ménageant en bon huguenot mes pécunes, comme eût fait la frérèche à
ma place) de laisser mes chevaux en Montfort, ce qui eut pour effet que je me
trouvai tout soudain privé d’eux en Paris quand retentit en la nuit du
24 août la cloche qui lança au massacre des nôtres le peuple de la
capitale. À l’apparence, c’eût été
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