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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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nuit.
    — Ha !
mon beau gentilhomme ! dit l’estuvière qui était assise en sa massive et
graisseuse charnure derrière son comptoir, l’œil cependant vif et dardé au
milieu des mille plis de ses paupières, bien je vous reconnais à votre clair
visage, combien que splendide vous apparaissiez en votre parisienne attifure,
la mode ne trottant pas si vite que vous ne l’ayez rattrapée. Monseigneur,
voulez-vous soi baigner comme déjà en chambrette, dormir et gloutir
aussi ?
    — Oui-da,
ma commère.
    — Holà,
Babeau ! Une peignoire et une baignoire pour ce beau gentilhomme ! Et
monseigneur, quérez-vous aussi la barbière Babette pour vous rabattre le poil
repoussé ?
    — Nenni.
Je le garde d’ores en avant comme il est.
    — Hé !
dit l’estuvière. C’est question de goût chez nos galantes dames. Les unes veulent
leurs muguets aussi lisses que leurs chambrières, et les autres les préfèrent
hérissés à l’ancienne. Voulez-vous, reprit-elle en baissant la voix, l’usance
de quelque compagnie pour que les heures de la nuit vous pèsent moins si le
sommeil vous fault ?
    — Non
point, ma commère, dis-je en secouant le chef. Je n’y ai point appétit, ayant
l’esprit dans les songes.
    — Hé !
dit l’estuvière de sa voix étouffée, l’appétit croît par ce qui le
nourrit !
    Et assurément
à l’envisager sur une escabelle, assise en tous ses tas mis ensemble, on ne
pouvait faillir à penser qu’elle disait vrai.
    — Mais,
il faut un commencement à cette nourriture, dis-je avec un sourire, et ce soir,
j’ai trop à rêver pour y incliner prou.
    — À y
penser plus outre, dit l’estuvière d’un air fort chattemite, j’en suis bien
aise pour vous, Monseigneur, car, Alizon qui bien vous plaît est gagée cette
nuit à un milord.
    — Quoi ?
dis-je, comme si mouche à miel m’avait aigrement piqué, l’est-elle de
présent ?
    — Non
point. Elle est due céans sur les huit heures.
    — Alors,
ma commère, dégagez-la de ce milord et me la dépêchez.
    — Cela ne
se peut, dit l’estuvière, l’œil fort renardier sous tous les plis qui le
voilaient, le milord, n’étant pas français, paye le double du prix.
    — Je
paierai le triple, dis-je, l’air froidureux et voyant trop bien les extrémités
où cette disputation me pouvait conduire.
    — Le
triple, dit l’estuvière, voilà qui me comblerait peu.
    — Ma
commère, dis-je en sourcillant, ne montez pas trop haut dans les cimes !
Je ne vous y suivrai pas.
    — Là !
Là ! dit-elle, mon gentilhomme, ne vous courroucez pas ! Mais ce
milord trouve une grande commodité au commerce de votre mignarde Alizon, et je
vais perdre sa pratique, si je ne le satisfais point.
    — Vous
perdrez la mienne, si vous exigez trop.
    — Voire !
dit-elle, les yeux disparaissant dans les plis de ses paupières. Vous tenez à
Alizon, et Alizon tient à moi, ayant besoin de mes pécunes pour élever son
petit Henriot. En outre, je ne suis pas sans conscience : j’ai gagé Alizon
au milord, et tant promis, tant tenu. Voilà ma règle. Pour en démordre, il ne
me faudrait pas moins qu’un écu.
    — Un
écu ! dis-je béant. Un écu pour conforter votre conscience ! Un écu
au lieu de six sols ! Ma commère, c’est donner une panse à vos prix !
et sur cet écu-là, combien de sols iraient à Alizon ?
    — Mais
trois, dit l’estuvière comme si la chose de soi allait.
    — Sanguienne !
criai-je à la fureur. Est-ce là justice ? Cuidez-en ce que je vous
dis : pour la chicheté de tout gagner, vous êtes en danger de tout
perdre : et la pratique du milord, et la mienne, et l’usance d’Alizon. Je
vais m’y employer sur l’heure.
    Sur quoi, fort
encoléré, je lui tournai l’épaule, le dos et les talons et allais des étuves
saillir quand elle dit de sa voix tant ténue et sifflante qu’elle paraissait
avoir peine à se frayer un chemin du milieu de sa graisse :
    — Trente
sols.
    Si grand fut
alors l’écœurement où me jeta ce barguin, tant orde et sale, de chair humaine
que ma gorge s’en souleva et à elle m’en revenant, je lui jetai trente sols sur
le comptoir, et sans un mot, suivis Babeau qui m’attendait, la peignoire et la
baignoire sur ses tétins serrées. En outre, j’avais grand appétit à me
décrasser le corps et à m’entretenir à loisir avec la pauvre Alizon avant mon
département de Paris que maintenant je savais proche, et qui l’était, quoique
point en la guise

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