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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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huguenot ?
    — Ha !
Monsieur ! dit-elle en grinçant des dents, si cela était, je ne voudrais
point seulement vous toucher le bout du doigt, et vous me seriez plus en dégoût
et horreur qu’un lépreux, tant j’abhorre cette engeance du diable !
    Oyant ceci, je
fus bien aise qu’ayant le nez contre mon cou, elle ne vît pas ma face, laquelle
ne put que laidement grimacer, mon cœur me poignant d’être tout soudain tant
haï.
    — Tant
donc les détestes-tu, Alizon ? dis-je quand je fus maître derechef de ma
voix.
    — Ha !
Monsieur, dit-elle à la fureur, je les tiens pour les monstres les plus
méchants de la création, et je les voudrais tous jeter vifs aux tourments les
plus cruels, et de là en Enfer, pour y être brûlés à feu petit pendant
l’éternité.
    — Quoi ?
dis-je, béant, tu les hais si fort ? Que t’ont-ils donc fait ? Ne
sont-ils pas hommes, après tout ?
    — Ils
m’ont fait, dit Alizon tant colère et dépit que son petit corps contre le mien
tremblait, qu’ils veulent nous supprimer nos saints !
    — Nos
saints ? dis-je, mais d’aucuns, même en l’Église catholique, opinent
qu’ils sont trop.
    — Ha !
Monsieur ! cria-t-elle, cuidez-moi ! Des saints, il n’y en aura
jamais assez !
    — Et pourquoi
donc ? dis-je béant.
    — Pour ce
que nous les chômons ! Et que ces bons saints (que le Seigneur Dieu et la
benoîte Vierge les bénissent à jamais de leur bénignité !) allègent notre
tant dur labour de cinquante-cinq jours l’an, nous donnant, bon mois mal mois,
autant de dimanches en plus. Ainsi en cet août que voilà, nous en avons trois
(sans compter l’Assomption), saint Laurent, saint Pierre ès Liens et saint
Barthélémy. Par malheur la Saint-Barthélemy est un dimanche.
    — Ce qui
te retire, pauvrette, un jour désoccupé.
    — Point
tout à fait, dit-elle, l’usance voulant que lorsque la fête d’un saint sur un
dimanche tombe, on quitte le labour la veille à midi. Et tant forte est cette
usance, et par nos curés tant recommandée, que même le Maître Recroche n’oserait
aller contre.
    Ayant dit,
elle s’accoisa, et étant fort lassée et de sa longue tâche en l’atelier, et des
tumultes que j’ai dits, et de la fureur qui venait de la secouer, elle tomba, à
l’instant qu’elle se tut, dans le sommeil comme un enfant, la tête en le creux
de mon épaule et son souffle léger contre mon col. Et pour moi, songeant à ce
qu’elle venait de dire – qui m’avait d’abord quelque peu tabusté – je
m’apensai que si la fortune m’avait fait naître en sa condition, je n’opinerais
pas différemment qu’elle n’avait fait, exténuée qu’elle était de ses
quatorze-heures de labour par jour, sans compter parfois les nuits. D’où je
réfléchis que l’Église papiste, si tyrannique que se montrât son pouvoir, et
parfois tant cruel, et si excessive que fût sa complaisance à la superstition
populaire, était peut-être mieux accordée aux besoins des pauvres que la nôtre,
leur apportant, de par les fêtes de ses innumérables saints, tout à la fois les
réjouissances et le repos sans lesquels leur vie n’eût été qu’un trébuchant
calvaire. Tant est qu’hormis même les prêches sanguinaires de ses curés zélés,
on pouvait à la fin entendre pourquoi le petit peuple de Paris tenait les
huguenots en si grande et stridente détestation : leur triomphe eût
allongé de cinquante-cinq jours par an son infinie géhenne. Pensée qui n’avait
pas échappé, comme peut-être on s’en ramentoit, à notre meunier Coulondre quand
mon père, en mes enfances, convertit d’autorité à la réforme les gens de sa
maison.
    Alizon,
pensai-je – attristé de ses paroles et toutefois ému que sa tête sur mon
épaule ne pesât pas plus qu’un oiseau –, c’est par l’accident de ma
naissance que je suis huguenot, et n’est-ce pas pitié que tu m’aimes en ma
personne et me haïsses en mon Église, au point que je te doive celer qui je
suis pour préserver ton amitié. Pauvrette ! Et pauvre royaume aussi, à ce
point déchiré qu’on ne puisse serrer en ses bras une tendre mignote sans que
son cœur du vôtre se divise sur la façon d’adorer Dieu !
    Je fus le
lendemain matin réjoui à l’extrême de l’accueil que me fit en la salle du
Louvre, où nous faisions à l’accoutumée nos assauts, le Baron de Quéribus,
lequel avait moins de zèle que son Église et se souciait comme d’une guigne que
je

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