Paris Ma Bonne Ville
que je cuidais alors.
Je fus en mon
inapaisé courroux plus muet que carpion en torrent tandis que Babeau me
dévêtait, et m’ayant mené à la cuve à baigner, me savonnait les membres comme
déjà j’ai dit.
— Ha !
Mon gentilhomme ! dit à la fin la gentille Babeau, ce n’est point avoir
solace et plaisir que de se baigner à contre-poil, comme vous faites, la tête
en vos fureurs. Ne vous mettez donc pas tant en peine d’une terre où les choses
vont un train où le gros gloutit le petit. Qu’y pouvez-vous ? Comme on dit
en mon village : il n’est point de bons maîtres, mais d’aucuns moins
méchants que d’autres : il faut les prendre comme Dieu les fait.
— Sais-tu,
Babeau, dis-je encore fort sourcillant, que je t’ai, l’autre fois, dit-on, tout
à plein gâtée en te baillant un sol ?
— Si je
le sais ! Benoîte Vierge, me l’a-t-on ressassé assez ! Et bien
sottarde je fus de me paonner de ce sol devant qui vous savez.
— Ne te
paonne donc pas de celui-ci, dis-je quand elle m’eut enfilé la peignoire au
sortir de la cuve. Et pour Babette, tu trouveras en mes chausses les herbes
qu’elle m’a requises.
— Ha !
Monseigneur ! Mille mercis pour moi et pour elle ! dit Babeau,
mettant mon sol en son giron. Et debout devant moi, croisant sur ses tétins
drus ses beaux bras ronds et rouges, elle m’envisagea avec amitié, pauvrette
qui subsistait sur deux sols par jour, et pourtant si vaillante au labour et si
contente d’être.
— Alizon,
poursuivit-elle, n’erre donc point quand elle dit que, tout noble que vous
soyez, vous êtes tant bon et bénin qu’un ange.
— Dit-elle
cela ? dis-je en riant, mon pensement à envisager Babeau en sa ferme
femelleté inclinant alors tout justement vers le diable.
— Elle
dit cela, et bien d’autres choses, dit Babeau, tant elle est de vous raffolée.
Monsieur, peux-je m’ensauver ? J’ai une autre pratique à servir.
— Ensauve-toi,
Babeau.
Elle s’en fut
donc, après m’avoir piqué un poutoune à la joue. Conforté assez de sa
gentillesse, je me jetai sur la petite couche de la chambrette, me ramentevant
que mon père avait observé lors de la peste de Sarlat que les pauvres ont je ne
sais quel fruste courage à vivre qui l’étonnait : ainsi des Babeaux, des
Alizons et des Babettes, et de tant d’autres drôlettes ou drôles dont le
royaume est plein et que pourtant nous voyons à peine, tant notre œil est
attiré par ceux qui paradent sur les tréteaux du monde et qui, brillants comme
l’écume, en ont la consistance.
Babeau partie,
combien que mon corps fût aise et par l’eau fraîche reposé, je ne pus que je ne
me sentis fort seul en ma chambrette en attendant Alizon, ne sachant par
surcroît comment ma petite mouche d’enfer le prendrait, que j’eusse à nouveau
acheté sa nuit, étant si prompte à prendre offense de moi. Et fuyant le pensement
qu’elle allait peut-être s’en fâcher, je tombai dans un autre pensement qui ne
valait pas mieux (pour ce qu’il me fit grand mal) du pauvre Dr d’Assas que
tant j’avais aimé en mes vertes années en Montpellier, et qui était passé dans
l’autre monde comme il avait vécu en celui-ci, fort doucement et sans se donner
peine, étant heureux et facile en tout, même en sa mort.
Voilà pourtant
qui me confortait peu, tant on aimerait que la grande faucheuse fît exception
de ceux que nous aimons, et du Dr d’Assas, et de l’oncle Sauveterre et de
mon père, lequel, à cinquante ans passés, était sain et gaillard, mais à qui je
ne songeais jamais sans appréhender le jour où, me quittant, il me laisserait
sur terre comme amputé de lui.
Me sentant
alors fort chagrin de ces pensées sur notre vie si brève, je m’ordonnai une
mentale médecine qui n’a jamais failli de m’en guérir au moins pour un temps,
et qui est de songer aux drôlettes qui ont eu pour moi des bontés, à leurs doux
yeux en mon souvenir scintillants et à leurs corps mignards. Ainsi blotti et
comme ococoulé en ces remembrances, je ne laissai pas que d’y trouver un
merveilleux réconfort, et enfin apaisé de mes courroux et tristesses, je me
sentis glisser au sommeil. Et aux songes aussi, car je rêvais. Et n’en déplaise
aux délicates dames qui me lisent et qui me voudraient plus saint que je ne
suis ou tout le moins, n’aimant personne hors mariage – ce qui n’irait pas
sans peine ni dol pour un cadet impécunieux, et qui plus est, huguenot –,
je
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