Paris Ma Bonne Ville
en
inféra le trajet de ladite balle et, à la palpation, la découvrit. Je voyais
céans un autre exemple de cette émerveillable méthode qui permettait d’ouvrir
les chairs à coup sûr, épargnant par là au blessé beaucoup de dol et de sang.
— Opérez,
Monsieur Paré, dit Coligny, les dents serrées, mais sans se désemparer de son
calme héroïque et je gage aussi, de la parfaite fiance qu’il avait que la
présente épreuve lui était envoyée par Dieu même, et par conséquent l’honorait.
Ce qu’il ne manqua pas de répéter un peu plus tard au ministre Merlin, qui
approuva ce sentiment qu’à la vérité tous, ou quasi tous, en ce logis
partageaient : certaineté que je ne laissais pas d’admirer, ne la
ressentant pas, et que je tiens pour la racine de cette admirable fermeté et
constance quasi romaine que l’Amiral montra en les jours de sa mort.
— Monsieur
l’Amiral, dit Ambroise Paré, j’ai dépêché mon aide quérir mes instruments, ne
pouvant opérer tant délicatement à l’aide de ces mauvais ciseaux.
À peine
achevait-il quand son aide survint, lequel ahanait comme un soufflet de forge,
ayant couru comme fol de la rue où logeait le chirurgien à la rue de Béthisy.
Paré demanda
au capitaine de Monins de se mettre derrière l’Amiral et de le tenir embrassé
par les épaules, à l’enseigne Cornaton de lui tenir le haut du bras senestre et
à moi-même la main. Après quoi, ayant palpé l’endroit qu’il avait dit, il
l’ouvrit au scalpel et à l’aide d’une petite pince à deux fines branches
terminées en spatules, il se saisit de la balle, mais dut s’y reprendre à trois
fois avant que de l’extraire, pour ce qu’elle se trouvait serrée à la jonction
du radius et du cubitus. L’Amiral subit tout cela sans un cri, sans un
gémissement et sans pâmer, la face cependant fort pâle et de sueur ruisselante.
La balle hors, ce qui fut fait avec une émerveillable dextérité, Ambroise Paré
pansa la navrure, et l’Amiral nous ayant gravement remerciés, demanda d’une
voix faible, mais ferme, qu’on le déshabillât et mît au lit. Ce que nous fîmes.
J’avais
observé qu’Ambroise Paré, avant que de panser le patient, avait oint la plaie
d’une onction vif-argentine que M. de Mazille, sans mot piper, lui avait
tendue. Dès que l’Amiral reposa derrière les rideaux et la custode de son lit,
je leur en demandai à voix étouffée la raison. À quoi Paré et Mazille,
s’entrevisageant un instant en silence, M. de Mazille répondit, mais lui aussi
à voix fort basse :
— C’est
un alexitère. On peut craindre qu’on ait empoisonné la balle.
Cependant, si
bas qu’il eût parlé, l’enseigne Cornaton l’entendit, ce qui ne fut pas sans
conséquence, comme on verra. Non que Cornaton portât en lui la moindre malice,
bien le rebours. Fort jeune et fort beau de face, l’œil de jais, le cheveu aile
de corbeau, le nez droit, les lèvres dessinées à ravir, et de sa charnure
svelte comme un lévrier, il était enseigne dans la cornette de Coligny, troupe
d’élite où il s’était, tant jeune qu’il fût, illustré par sa vaillance, la
fermeté de sa foi huguenote et sa dévotion à l’Amiral. Autant dire que sa
complexion le refermait sur soi en un rond rigoureux, comme mon bien-aimé
Samson, et comme lui, le disposait à une colombine simplesse qui n’allait pas
sans périls.
L’Amiral
reposant derrière sa custode, Ambroise Paré me dit qu’il resterait à son côté
le temps qu’il me faudrait pour aller gloutir quelques viandes et ne
départirait qu’à mon retour au logis de Coligny. À quoi je ne sus
qu’acquiescer, voyant bien, cependant, que mes soins et ma présence étaient
pour ainsi dire requis sans qu’on consultât ma commodité, tant il allait sans
dire qu’étant huguenot, je ne pouvais que vouer mes jours et mes nuits au salut
de l’Amiral. En quoi mon Église – où je ne me sentais pas si chaud –
m’engageait plus avant que je n’eusse voulu.
En
redescendant de l’étage à la salle basse, je trouvai la presse des gentilshommes
protestants encore accrue, et leur véhémence dans le chagrin et le courroux
décuplée, d’autant que, la plupart étant gascons, les paroles enflaient
désespérément les pensées et les portaient à de terribles menaces, non
seulement contre les Guise – nid de vipères qu’il faudrait tout à plein
exterminer – mais contre la Cour, la Reine-mère, Anjou, Alençon et
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