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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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de pain et un seul de ces bons fruits, c’est assez déjà d’un repas
pour le plus gueux des hommes.
    À l’angle de ces bâtisses de
fruits, et chacun devant sa chacunière, se tenaient les laboureurs qui les
avaient semés et récoltés, et ceux-là chantaient en oc sans discontinuer pour
attirer la pratique :
     
    Beau l’oignon ! Beau
l’oignon !
    ou encore :
    Qui prend oignon, prend
médecine !
    ou encore :
    Oignon mangez et vivez
vieux !
    ou encore :
    Qui mange oignon et oignonette
    Bien besogne sa garcelette.
     
    Ces vendeurs qui se trouvaient
fort joyeux de ramasser, ce jour, de sonnantes pécunes, pour récompenser leur
labour, avaient aussi l’œil fort épiant et dans leur poing de longues gaules
dont ils toquaient tout soudain sur les doigts des marauds qui eussent voulu au
passage les larronner, fût-ce du moindre fruit. Mais ils vous choquaient ces
petits larrons sans nulle cruauté, sans hucher ni sourciller, et dans la bonne
humeur gaussante et rieuse des laboureurs du plat pays.
    Ce marché des oignons se tient le
24 août, qui est la fête de saint Barthélémy, saint qui pour nous
huguenots n’était point alors différent de tous les saints papistes dont nous
avions révoqué le culte superstitieux mais qui, un an plus tard, comme je
dirai, devint à jamais, pour nous, l’objet d’une exécration infinie.
    Mon gentil frère Samson aimait
tant son état qu’il fut transporté d’aise d’être promu maître-apothicaire au
bout de ses années d’acharné labour. Au cours du triomphe qui suivit ses
épreuves, la coutume voulait qu’on le promenât à cheval en cortège à travers la
ville. Et tant beau de face et de corps il apparut, tandis qu’ainsi il
chevauchait, que j’entendis de bonnes gens dire que c’était grande pitié qu’il
fût huguenot, tant il avait l’air de l’archange saint Michel descendu d’un
vitrail. Je vous laisse à penser l’émeuvement des mignotes, lesquelles
accourant en foule, le gloutissaient de l’œil. Mais combien que les
Montpelliéraines soient, omnium consensu [4] les plus belles garces du royaume, mon candide Samson ne vit même point les
œillades qui lui chauffaient la joue, n’ayant de pensamor que pour Dame
Gertrude du Luc – à laquelle, à peine rentré au logis, il me supplia de
décrire en une longue missive l ’actus triumphalis dont il avait été le
héros, non certes qu’il ne sût écrire, mais son style était tant bref et sec
que celui d’une ordonnance. Ce à quoi rechignant, je consentis enfin, encore
que je gardasse une dent peu douce à l’oiselle, laquelle, non contente de voler
en l’azur, voulut céans s’ébattre sur le fumier ! Sanguienne !
Paillarder avec un capitaine de M. de Joyeuse au sorti des bras de mon joli
Samson ! Est-ce foi ? Est-ce raison ? Est-ce vertu ?
Ha ! J’eusse pu occire la donzelle de son infidélité ! — que Dieu
merci mon bien-aimé Samson n’aperçut mie en son innocence et que je lui celai,
ne voulant point navrer son noble cœur.
    Je fus moi-même promu docteur le
14 avril de l’année du Seigneur 1572. À dire vrai, je me faisais un souci à mes
ongles ronger avant que de passer mes triduanes, épreuves ainsi appelées
pour ce qu’elles durent trois jours pendant lesquels, matin et soir, je devais
soutenir mes thèses, et en latin disputer non point seulement avec les quatre
professeurs royaux, mais avec les docteurs ordinaires dont d’aucuns, dans ces
occasions, préparaient à l’avance d’insidieuses embûches, ayant appétit à
briller aux dépens de l’impétrant.
    Cependant, ayant fort diligemment
labouré, et enfourné mes livres, et disséqué, et par surcroît observé et soigné
depuis deux ans bon nombre de malades, en remplacement de mon
« père » Saporta, je ne laissais pas d’avoir quelque fiance en mon
savoir. Tant est pourtant que je me tracassais encore, non point seulement des triduanes, mais de ne pas pourvoir dignement, faute d’argent assez, aux
immenses frais qu’entraînait, selon lus de l’École de Médecine, la collation du
grade suprême. Certes, j’eusse pu en écrire à mon père, mais cela me répugnait
de lui coûter tant de beaux écus, et après avoir longtemps tourné la chose en
mon esprit, je résolus de m’en ouvrir à M me de Joyeuse tandis que
nous reprenions souffle l’un et l’autre après une session de notre École du
Gémir, derrière le bleu rideau de son baldaquin.
    — Quoi ! dit cette

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