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Paris Ma Bonne Ville

Paris Ma Bonne Ville

Titel: Paris Ma Bonne Ville Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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le
Chancelier Saporta, soit trente écus pour son honoraire, car c’est lui qui
devait présider à mes triduanes. J’avais grand appétit ce faisant à
entr’apercevoir Typhème, la jeune et belle épouse de ce grison, mais de la
mignote, point de trace ; ce Saporta était un vrai Turc, il tenait sa
femme serrée en sa chambre, de peur qu’on la lui larronnât, fût-ce de l’œil, et
je n’eus rien pour mes trente écus, pas même le plaisir de la voir et à peine
un merci.
    Le Doyen Bazin – lequel mon
compain Merdanson appelait le « fœtus » pour ce qu’il était petit,
maigrelet, estéquit, égrotant, mais au demeurant fort venimeux d’œil et de
langue – m’accueillit plus mal encore pour ce qu’étant le
« fils » du Chancelier Saporta, il me haïssait à l’égal de mon
« père ». Par surcroît, ayant eu le projet de présider mes triduanes et ne l’ayant pu, Saporta lui ayant l’herbe sous le pied coupée,
il se sentait grugé de ces trente écus-là, étant plus chiche-face et
pleure-pain qu’aucun fils de bonne mère en Languedoc. C’est vous dire avec
quels grimaces et grincements il empocha mes deux écus dix sols, me prédisant
d’une voix sifflante que mes triduanes seraient venteux et tracasseux.
    Le Dr Feynes, qui était le
seul des quatre professeurs royaux à être catholique, reçut en revanche mon
obole avec sa bénignité coutumière. Pâlot et falot, il s’effaçait de soi
davantage, cuidant être une timide petite souris papiste égarée dans un trou
huguenot. De lui point de tracassement à attendre, mais point de secours non
plus : il ouvrait à peine le museau et pesait peu en nos disputations.
    Quant au Dr Salomon dit
d’Assas que j’avais pour la bonne bouche gardé, il me fit plus de mercis pour
mes deux écus dix sols que si j’avais mis à ses pieds tous les trésors du Roi
dont il portait le nom, encore que ce nom il ne le portât plus, se faisant
appeler d’Assas du nom de sa seigneurie de Frontignan. Il me régala une fois de
plus sous les aimables frondaisons de son jardin, du délicieux nectar qu’il
tirait de sa vigne, et des gâteaux façonnés par sa chambrière Zara, laquelle
était si belle en sa grâce languide que j’eusse volontiers, après la pâte,
glouti la pâtissière. Mais cela ne se pouvait, c’eût été félonie, le
Dr d’Assas tant l’aimant et me tenant en si bonne amitié.
    — Ha, Pierre de Siorac !
dit-il, prenez garde, l’homme qui vous a prédit des débats venteux et
tracasseux vous prépare des embûches infinies. Autant de questions, autant
de pièges ! Vous n’y couperez point.
    — Mais comment faire ?
Comment le déjouer ?
    — Je vais vous le dire,
poursuivit d’Assas, lequel était rond et bénin de la tête aux pieds.
    Et ce disant, il ouvrit la bouche
et tout soudain s’accoisa.
    — Révérend Docteur, de grâce,
dites-le !
    — Je ne sais, dit-il,
m’envisageant de son œil noisette, lequel était doux et futé. Dois-je le
dire ?
    — Dites-le, de grâce.
    — Pierre, le
répéterez-vous ?
    — Nenni.
    — Pierre, j’opine que poser à
l’impétrant de fort insidieuses questions sur des points difficiles,
débattables et obscurs, c’est une ruse assez sale. En tombez-vous
d’accord ?
    — Oui-da !
    — Pierre, à ruse, ruse et
demie.
    — Certes !
    — Pierre, oyez-moi bien.
L’homme dont il s’agit se pique fort du grec qu’il ne sait point. Il cite, mais
de travers. Pierre, d’ici après demain, apprenez par cœur, dans le texte, des
passages d’Hippocrate et de Galien, et si le quidam, lors des triduanes, vous pose une question à vous geler le bec, débitez votre grec
imperturbablement, et avec l’air de lui damer le pion.
    — Quoi ? dis-je, même si
le texte grec est sans rapport avec la question ?
    — Oui-da ! C’est là le
beau de la chose. Rabelais n’en usait pas autrement avec ses tracassants
débateurs ! Et si ceux-ci savaient le grec, il les accablait de son hébreu !
    — Ha ! m'écriai-je, la
bonne farce et joyeuse gausserie !
    Et le Dr d’Assas et moi, nous
entre-regardant pardessus nos gobelets d’un air fort entendu, nous rîmes tous
deux à ventre déboutonné.
    Le même jour, j’allai encore
remettre mon obole aux docteurs Pinarelle, Pennedepié et de la Vérune, lesquels
n’étaient point régents royaux, mais docteurs ordinaires, donnant quelques
lectures à l’école, et admis par courtoisie par le Chancelier Saporta à

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