Paris Ma Bonne Ville
Guise – en traitant
avec Coligny, lequel, toujours vaincu, renaît toujours de ses cendres comme le
phœnix. Et voilà négociée, bâclée, conclue, la paix de Saint-Germain, de
laquelle j’opine qu’elle est bonne assez pour les vôtres, pour peu qu’elle soit
des deux parts respectée. »
— Monsieur mon père, dis-je,
d’Argence a-t-il raison ? Cette paix est-elle bonne assez pour les
huguenots ?
— Nenni, dit Jean de Siorac
debout derrière moi, et appuyant ses fortes mains sur mes épaules. Nenni, mon
Pierre, la liberté de conscience est accordée mais quant à la liberté du culte,
elle est restreinte aux châteaux et à deux villes par gouvernement. Et qu’est
la liberté de conscience si la liberté du culte n’est point pleine et
entière ? C’est pourquoi j’augure mal de cette paix de St-Germain :
la guerre avec les papistes ne faudra pas à se rallumer.
CHAPITRE II
Ce fut toutefois un répit, lequel
dura deux ans. Que me pardonne le lecteur de galoper à brides avalées sur ces
deux années tant j’ai hâte d’arriver à l’inouïe traverse et immense péril qui
me firent quitter mon Périgord pour aller quérir à Paris la grâce du roi.
Mon bien-aimé Samson fut promu
maître-apothicaire en août du Seigneur 1571, promotion que je ne peux me
ramentevoir sans évoquer en mon pensement le célèbre marché des oignons qui se
tint le même jour en Montpellier, et que je vis par bonne chance tandis que mon
frère façonnait, à nos considérables dépens, cette eau de thériaque où entrent
en composition plus de vingt-sept corps et substances différents : façonnement
tant secret et celé qu’aucun quidam, fût-il médecin, n’a licence de
l’envisager, la vue de ces mystères étant réservée aux seuls
maîtres-apothicaires qui devaient recevoir en leur grade l’impétrant.
En attendant que fût composée par
mon joli Samson cette célèbre médecine dont les propriétés sont souveraines
dans la curation de nombre de nos intempéries, je fus me trantoler dans les
rues tournoyantes de Montpellier par un soleil à écraser les mouches (encore
qu’on eût tendu des toits de roseaux de maison à maison pour adoucir sa force)
et je tombai place de la Canourgue sur le plus étonnant spectacle qu’oncques
n’aie vu depuis en aucun lieu : une ville faite tout entière d’oignons.
Ces fruits sont dans le Sarladais
vendus tout en vrac, mais céans on les tresse avec beaucoup d’art, et ces
tresses étant empilées en fagots et ces fagots mis en tas, on en fait des
remparts de dix pieds de haut entre lesquels on ménage d’étroits passages, si
bien que la place entière devient une cité où l’on chemine à dextre comme à
senestre, entre des murs odorants. Et tant les ruelles et rues que ces murs
composent sont nombreuses, qu’on s’y perdrait comme dans un labyrinthe. Pour
moi, je m’y ébaudis fort, n’ayant jamais vu quantité si prodigieuse de ce
légume lequel, en Languedoc, cru ou cuit, est viande quotidienne, à telle
enseigne que les Montpelliérains en achètent à ce jour assez pour leur durer
tout l’hiver. Mais au-dessus du nombre m’émerveilla la variété infinie de ce
fruit, y ayant là toutes les espèces connues et de toute taille, consistance et
couleur, les uns jaunes, les autres rouges, d’aucuns aussi gros que le poing,
d’autres de la grosseur d’un abricot et d’autres plus petits, et ceux-là
blancs, et comme sucrés.
Je restai là deux bonnes heures
tant j’étais diverti, et quasiment aussi amusé que le petit Anne de Joyeuse par
les soldats de bois que je lui avais baillés. M’égayait l’œil aussi le monde
qu’il y avait là, la presse étant immense dans cette ville d’oignons, tant de
fillettes et ménagères accourues pour l’achat, que de manants et de badauds
venus là pour muser. Et grande aussi était la liesse de cette foule qui, entre
ces murs végétaux, déambulait, riant et clabaudant, pour ce que l’odeur de ce
légume est saine et confortante, aimable au cœur, au foie, et aux parties
génitales et à coup sûr médicamenteuse, et parce qu’aussi ce grand concours de
peuple se réjouissait de voir en tas ces immenses quantités de nourriture
saillies de la bonne terre du Languedoc de par l’expresse bénignité et
miséricorde du Créateur afin que tous, même les moins étoffés, fussent assurés
de manger cet hiver. Car une tresse de ce légume ne coûte que deux sols et avec
un croûton
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