Paris vaut bien une messe
désarroi et les hésitations de certains des
instigateurs de l’embuscade, désarçonnés par l’échec de l’attentat.
— À la guerre, a conclu Sarmiento, celui qui ne termine
pas ce qu’il a commencé est un homme perdu. Or, c’est une guerre que nous
menons ici.
Quittant l’hôtel d’Espagne, rue Saint-Honoré, j’ai emprunté
le chemin suivi ce matin-là par l’amiral de Coligny et les gentilshommes de son
escorte, censés le protéger.
J’ai à nouveau rencontré plusieurs d’entre eux. Guillaume de
Thorenc, Jean-Baptiste Colliard, Pardaillan et Séguret – ces deux derniers
les plus enragés des huguenots – ont répété devant moi leur serment de
venger l’amiral. Ils soupçonnent non seulement François de Guise, mais Henri
d’Anjou et jusqu’à la reine mère.
Ils remarquent que Charles IX n’a pas assisté, ce
matin, au Conseil privé qui s’est tenu à dix heures, au Louvre, en présence de
Coligny. L’amiral n’a rencontré le roi qu’au moment où le Conseil se terminait.
Le monarque se rendait au jeu de paume, rue de l’Autruche. C’est là qu’après
l’attentat Guillaume de Thorenc et Séguret lui ont apporté la nouvelle.
Charles IX aurait alors brisé sa raquette en la jetant
à terre. Il se serait écrié : “N’aurais-je donc jamais de repos ?
Quoi, toujours de nouveaux troubles !” Séguret s’est demandé si cette
indignation n’était pas feinte, car le roi s’est mis à table peu après, sans
songer à se précipiter aussitôt au chevet de Coligny. Et l’on a su, à l’hôtel
de Ponthieu, que Catherine de Médicis n’avait pas paru surprise à l’annonce de
l’embuscade.
Pardaillan, un fier-à-bras au visage de reître, a hurlé, en
brandissant son épée, que tous ceux qui avaient manigancé cette conspiration
seraient châtiés, quels que fussent leur sang et leur rang.
Le roi cependant, accompagné de ses frères Henri d’Anjou et
François d’Alençon, ainsi que de la reine mère, s’est rendu cet après-midi à
l’hôtel de Ponthieu. Des murmures et quelques menaces ont accueilli l’arrivée
de la famille royale. J’en ai été le témoin.
À ce que m’ont rapporté Guillaume de Thorenc, Colliard et
Séguret, le monarque a conversé à voix basse avec Coligny, au grand dépit de
Catherine de Médicis. Craignait-elle qu’il ne s’engageât à diligenter une
enquête sur le complot dont elle était peut-être l’instigatrice ?
Charles IX a dit à Coligny d’une voix forte, pour que
chacun l’entendît :
— Mon père, vous avez la plaie et moi la perpétuelle
douleur, mais je renie mon salut que j’en ferai une vengeance si horrible que
jamais la mémoire ne s’en perdra !
Et il a proposé à Coligny de se rendre au Louvre où il
serait à l’abri d’éventuelles émeutes, qu’on pouvait redouter à de nombreux
signes.
Coligny a refusé et le roi, au jugement de tous les témoins,
a paru surpris et blessé, comme si l’amiral le soupçonnait de vouloir le
séquestrer, l’occire ou, pis encore, mettait en doute la capacité royale de
défendre le Louvre en cas de troubles dans la ville.
Charles IX a donc quitté l’hôtel de Ponthieu, contraint
de passer au milieu d’une foule de protestants qui ont proféré une nouvelle
fois de grosses injures et des menaces à son endroit.
Peu après, Henri de Navarre est arrivé et a été accueilli
par des acclamations, comme s’il s’était agi d’un roi.
Il était accompagné de plusieurs gardes suisses qui ont
commencé d’entreposer dans l’hôtel de Ponthieu des cuirasses et des arquebuses.
C’est donc que, dans le camp huguenot, on pense que
l’embuscade est un commencement, qu’il faut s’apprêter au combat.
À écouter Séguret, Pardaillan, Jean-Baptiste Colliard ou
Guillaume de Thorenc, il m’a semblé entendre Enguerrand de Mons, Diego de
Sarmiento ou les spadassins regroupés dans la cour de l’hôtel d’Espagne.
L’embuscade contre Coligny a ravivé toutes les plaies,
attisé toutes les rancunes. J’ose, Illustres Seigneuries et Vénérable Doge,
formuler cette certitude : la gangrène va se répandre dans les heures qui
viennent et toucher l’ensemble du pays.
On a déjà vu, sur la rive gauche de la Seine, autour du pré
aux Clercs, des hommes en armes se former en cortège ; les compagnies
d’archers dépêchées par le prévôt des marchands et les échevins, n’ayant pu les
disperser, se sont regroupées
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