Paul Verlaine et ses contemporains par un témoin impartial
frontière,
Que suivra la volée altière
Des Te Deum enfin redits ! »
Au contraire de Lepelletier et Cazals, dont l’affection, sous le poète, a découvert l’homme, Charles Morice a préféré le poète. Non qu’il n’ait tout deviné, tout compris : mais étant avant tout écrivain , il a, par une opération littéraire tournant la vérité, fait servir l’humanité de Verlaine à grandir sa poésie , alors que Verlaine, par sa seule vie, s’est toujours montré utilisant son art poétique pour affirmer son être humain . – Tel, un talent secondaire d’orateur sert parfois de moyen d’action publique à quelque homme d’État secrètement puissant. – Les livres de Verlaine sont les faits et gestes qu’il faut traduire pour le connaître : ils ne sont que le levier, le point d’appui, et peut-être la main, mais non pas la volonté. Il suffit donc, pour savoir Verlaine, de découvrir cette volonté, qui seule importe pour juger l’homme. Or, c’est la résistance , l’objet que soulève le levier, qui désigne spontanément, infailliblement, L’OUVRIER. Quel objet fut donc le but des vrais efforts de Verlaine ? c’est à dire ; la connaissance de ce but , par la plus élémentaire réflexion, ne nous révèlera-t-elle pas sa volonté , qui est tout l’homme ?
Écoutons d’abord Morice [53] :
« Quand je revois dans ma mémoire Verlaine tel qu’il m’a été donné de le voir, à des époques différentes, je me persuade que plus que de nulle autre l’aspect physique de cette singulière figure, si laide et si belle, si violente et si douce, n’est certes point inutile à la compréhension de son génie. »
Ainsi, ce visage n’éveille en lui aucun sentiment ; mais il y découvre volontiers le sceau du génie. Chez Lepelletier, Cazals, ce sont des mots de vie, des joies partagées, des adieux douloureux, de l’affection ; Morice ne voit l’homme que sous un angle littéraire , et il rappelle, dans sa conférence, le portrait qu’en ce sens il fit autrefois [54] :
« Le front, très haut, très large, domine comme un dôme tout le visage assis carrément sur de puissantes mâchoires ; – un front de cénobite rêveur, un front façonné aux amples théologies, – des mâchoires de barbare, faites pour assouvir les plus voraces faims. Cet antagonisme déclaré de l’esprit et de la chair, normale caractéristique humaine qui se rehausse en Verlaine par l’effrayant degré de l’écart, c’est l’explication de toute sa vie, comme c’est la source de toute son œuvre… C’est une bataille abandonnée aux hasards des batailles par la volonté débile, car le menton est faible et bref, presque fuyant, sans guère de prise pour le dessin, tandis que le nez, court et large, téméraire et gourmand, reste indifférent, attendant du caprice ou de la nécessité le choix d’une direction. Les yeux, profonds, petits, effilés à la chinoise vers les tempes, clignotent parfois et pâlissent pour, soudain, luire d’un éclair noir, émané peut-être des clartés du plus pur mysticisme, peut-être du feu des plus sensuelles amours… Cette sorte d’unité double de Verlaine – car il est tout entier dans sa raison comme il est tout entier dans son instinct – se déduirait des deux ressemblances qu’il évoque : Socrate et Bismarck. »
Socrate, Bismarck. – On avait d’abord dit Villon, Musset. Morice lui-même l’a déjà, longuement, comparé à Lamartine. Fouquier, pour L’Ode à Metz , a rappelé J.-B. Rousseau, et pour Invectives , Archiloque. Ch. Gidel l’a repoussé vers Shelley. Verlaine, lui, s’est mis fraternellement près de Villiers de l’Isle-Adam. Un plébiscite l’a élu, pour tenir le rang de Leconte de Lisle. Il fut à l’hôpital comme Gilbert et Hégésippe Moreau, et n’y mourut pas, comme d’autres. Il a ajouté un chapitre, l’Art poétique , à la belle œuvre de Boileau ; fut parfois naïf comme La Fontaine, rieur comme Rabelais, morose comme Baudelaire, formiste comme Théodore de Banville, et ses vers patriotiques vont à Déroulède. Rops a évoqué Luther ; Lepelletier, Racine. De plus, voici trois jours, j’ai entendu quelqu’un, un vieil homme du siècle, devant un petit portrait de Verlaine, parler de J.-J. Rousseau, et j’ai lu dans Fernand Hauser : « Paul Verlaine et Victor Hugo, dans l’histoire littéraire de France, occuperont une place d’honneur. »
C’est
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