Paul Verlaine et ses contemporains par un témoin impartial
arrive, qu’on n’accuse que ma femme à qui je pardonne, en embrassant mon pauvre petit Georges, qu’on refuse à mon agonie. – P. V., 6, rue de la Harpe. »
Vous voyez le cas qu’il convient de faire de la sincérité méchante de ses invectives.
« Je ne relèverai pas l’allusion à un vice que Verlaine a formellement nié. On pourrait répondre que semblable imputation n’empêcha nullement Socrate d’avoir son buste dans des endroits plus respectables encore que la pépinière du Luxembourg, mais je répète que Verlaine a toujours protesté contre cette calomnie. Dans une lettre-testament, il m’a chargé de défendre sa mémoire sur ce point spécial. »
Lepelletier, qui réapprit, après la Guerre, le nom de Verlaine aux Parnassiens, et qui défendit le poète après sa mort, a pris de plus un rôle actif dans le Comité du Monument, formé au mois de mai 1896, par F. A. Cazals [47] .
Cazals fut l’ami des dernières années, des jours assombris qui hâtaient la fin de Verlaine. Il connut avec lui quelques heures lumineuses, mais il fut surtout celui qui dut consoler un cœur meurtri, apaiser un esprit en révolte et soutenir un corps affaibli. Son rôle fut de deuil, plus que d’espoir. Sans doute, ses croquis de Verlaine offrent souvent des détails fantasques ; mais sont-ils gais ? On sourit parfois, à leurs gestes amples, mais peu de temps, et ce qu’on en garde, c’est seulement le caractère qu’ils expriment.
L’œuvre de Cazals [48] « est absolument moderne ; comme peintre, dessinateur ou chansonnier, c’est dans la vie contemporaine qu’il prend ses modèles… Il y a dans son dessin une certaine naïveté qui me plaît infiniment ; chez lui elle est naturelle, de prime jet et non tentative d’imitation : un simple croquis, de dos, la figure absente, un chapeau mou, un foulard rouge, une canne à bec de corbin, et une jambe raide, projetant son ombre sur le sol, voilà Verlaine frappant, absolu, à jamais fixé dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. »
Le portrait que de Colleville a fait de Cazals, « un ironiste de haute volée », semble de quelques années, car la mort de Verlaine a dissipé tous les signes extérieurs de cette ironie ; Rops a noté, par l’évocation d’une autre époque trois fois séculaire, le devoir nouveau échu à Cazals : dans une lettre du 9 février 1896, rappelant d’abord le choix de croquis publiés [49] :
« Il est regrettable pour tous, que ceux qui ont vécu dans l’intimité des Maîtres ne publient pas les documents qu’ils ont pu réunir dans cette communion de tous les jours, où chaque heure apporte son enseignement. Si des disciples zélés, comme Jean Aurifer, Antoine Lauterbach ou Dietrich, qui ont recueilli les propos de table de Martin Luther, eussent été plus nombreux, nous posséderions des documents précieux sur ceux qui nous ont précédés.
« FÉLICIEN ROPS. »
Cazals a fait connaître aussi des lettres [50] qui aident singulièrement à découvrir, sous l’apparence bruyante du poète , un homme , je n’ajouterai pas : davantage intéressant ; mais je remarque de plus en plus que le poète semble n’avoir été qu’un moyen : le geste employé par l’ homme pour se manifester à nous. Comme le souci littéraire est loin ! dans ces pages familières datées d’Aix-les-Bains, où Verlaine faisait une cure. Il y est parlé de littérature, certes ; mais ce n’est que l’urgence d’un peu d’argent à gagner, quelques lignes çà et là, tandis qu’à peine arrivé à Aix, Verlaine apaisé s’écrie : « Je suis la brebis qui était perdue et qui est retrouvée ! » Des naïvetés du paysage le retiennent, des mots d’enfant naissent sous sa plume, comme une source de pure confiance ; il conte sa vie dans la ville thermale, par menus détails, regrette les absents, son fils, et dit en courtes phrases animées les gens et le décor qui l’avoisinent ; puis, il apprend la mort de Villiers de l’Isle-Adam : « Cette coïncidence dans la mort (ou tout comme, car au fond, je suis une façon de mort), après ces similitudes dans la vie, misère, insuccès, mêmes croyances, maladroitement mises en œuvre avec la même bonne volonté, ne peut manquer de te frapper et d’en frapper d’autres qui seront moins indulgents que toi envers ton pauvre vieux P. V… Certes, sa vie fut plus digne que la mienne, mais pas plus fière, au fond.
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