Paul Verlaine et ses contemporains par un témoin impartial
rangs pressés : Henry Roujon, Sully-Prud’homme, José-Maria de Hérédia, Jules Lemaître, Jean Richepin, Henry Bauër, Raffaëlli, Jean Lahor, Armand Silvestre, Edmond Haraucourt, Maurice Bouchor, Roger Marx, René Maizeroy, Émile Blémont, Rachilde, Gustave Kahn, Ferdinand Hérold, Jean Moréas, Fernand Mazade, Jean Jullien, Eugène Carrière, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, Georges Rodenbach, Tardieu, Alexandre Boutique, Charles Maurras, Edmond Char, Paul Balluriau, Charles Frémine, M me Segond-Weber, Chantalat, Henri Bouillon, Jacques des Gachons, Camille Mauclair, et une foule d’amis.
À l’église Saint-Étienne-du-Mont, l’abbé Chanes dit une messe basse, chantée par toute la maîtrise sous la direction de M. Gros, maître de chapelle. L’absoute fut donnée par l’abbé Lacèdre, et le grand orgue tenu par M. Théodore Dubois, organiste de la Madeleine, qui exécuta Pie Jesu , de Niedermeyer.
Le cortège ensuite gagna le cimetière des Batignolles, dont Verlaine avait dit, à l’époque où l’on voulut en retirer le corps de Villiers de l’Isle-Adam : « J’ai dans ce cimetière mon tombeau de famille, où dorment déjà mon père et ma mère : j’y ai ma place… Il me serait donc douloureux de penser que mon cher ami de si longtemps, que mon grand Villiers, qui me fut fidèle et doux en cette vie, ne restât pas mon compagnon de l’au-delà. »
Son cercueil fut posé sur les deux cercueils descendus dans ce caveau en 1865 et en 1886, – et, avant que la dalle fût pour toujours retombée sur le capitaine que Niel préférait, sur la mère qui avait franchi des barricades pour rejoindre son fils, sur le poète « en qui toute une fin de siècles trouve sa rédemption », – François Coppée, Stéphane Mallarmé, Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, Maurice Barrés, Jean Moréas et Gustave Kahn s’approchèrent et prirent tour à tour la parole.
« Messieurs, dit François Coppée, saluons respectueusement la tombe d’un vrai poète, inclinons-nous sur le cercueil d’un enfant. – Nous avions à peine dépassé la vingtième année quand nous nous sommes connus, Paul Verlaine et moi, quand nous échangions nos premières confidences, quand nous nous lisions nos premiers vers. Je revois, en ce moment, nos deux fronts penchés fraternellement sur la même page ; je ressens par le souvenir, dans toute leur ardeur première, nos admirations, nos enthousiasmes d’alors, et j’évoque nos anciens rêves. Nous étions deux enfants ; nous allions, confiants, vers l’avenir. Mais Verlaine n’a pas rencontré l’expérience, la froide et sûre compagne qui nous prend rudement par le poignet et nous guide sur l’âpre chemin. Il est reste un enfant, toujours. – Faut-il l’en plaindre ? Il est si amer de devenir un Homme et un sage, de ne plus courir sur la libre route de sa fantaisie par crainte de tomber, de ne plus cueillir la rose de volupté de peur de se déchirer aux épines, de ne plus toucher au papillon du désir en songeant qu’il va se fondre en poudre sous vos doigts. Heureux l’enfant qui fait des chutes cruelles, qui se relève tout en pleurs, mais qui oublie aussitôt l’accident et la souffrance, et ouvre de nouveau ses yeux encore mouillés de larmes, ses yeux avides et enchantés sur la nature et sur la vie ! Heureux aussi le poète qui, comme le pauvre ami à qui nous disons aujourd’hui adieu, conserve son âme d’enfant, sa fraîcheur de sensations, son instinctif besoin de caresses, qui pèche sans perversité, a de sincères repentirs, aime avec candeur, croit en Dieu et le prie humblement dans les heures sombres, et qui dit naïvement tout ce qu’il pense et tout ce qu’il éprouve, avec des maladresses charmantes et des gaucheries pleines de grâce ! – Heureux, ce poète ! j’ose le répéter tout en me rappelant combien Paul Verlaine a souffert dans son corps malade et dans son cœur douloureux. Hélas ! comme l’enfant, il était sans défense commune, et la vie l’a souvent et cruellement blessé ; mais la souffrance est la rançon du génie, et ce mot peut être prononcé en parlant de Verlaine, car son nom éveillera toujours le souvenir d’une poésie absolument nouvelle et qui a pris dans les lettres françaises l’importance d’une découverte – L’œuvre de Paul Verlaine vivra. Quant à sa dépouille lamentable et meurtrie, nous ne pouvons, en pensant à elle, que nous associer aux
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