Perceval Le Gallois
ses angoisses, Perceval, dont le cœur s’éclairait davantage à chaque nouvel objet qui se présentait à sa vue, se pensait parvenu au Paradis, tant l’éblouissaient le faste et l’éclat des lieux. Et il se laissa conduire comme en rêve au fond de la salle où, sur un siège tendu de soieries, était assise une femme à la longue chevelure brune et au chef ceint d’une couronne d’or. Elle avait un teint brillant, des yeux d’un gris profond ; son allure était encore plus noble et plus gracieuse que celle de ses suivantes. Perceval s’inclina devant elle et, d’une voix très douce, elle lui souhaita la bienvenue, l’invitant à s’asseoir auprès d’elle.
Le Gallois ne sentait plus ni la faim ni la fatigue ni aucune espèce de malaise : la splendeur environnante lui faisait tout oublier. La dame reprit : « Seigneur, si cela ne te déplaît pas, dis-nous ton nom. » Il ne vit aucune raison de le cacher et, s’étant aussitôt nommé, il entreprit de raconter qu’il avait erré trois jours par vallées et forêts sans trouver d’hôtel où recevoir gîte et couvert. « Je n’en suis pas surprise, dit alors la dame, car, tout autour de ce château, on pourrait aller longuement sans rencontrer d’abri où trouver de pain ni d’autres aliments. » Et elle commanda qu’on dressât les tables sans délai.
Perceval observa qu’il n’y avait là valets ni sergents : des jeunes filles s’occupaient de tout, qui mirent les tables, les revêtirent de nappes plus blanches que neige et les garnirent sans que n’y manquât rien, puis elles apportèrent de l’eau chaude afin que Perceval et la dame pussent se laver les mains. Après quoi, tous deux prirent place et se restaurèrent ensemble de grand cœur et de bon appétit. La nuit venue, on alluma autant de chandelles qu’il en fallait, tout en servant à foison des viandes de toutes sortes, oiseaux, brochets, saumons et autres poissons frais, et un vin délicieux tel que Perceval n’en avait jamais bu de meilleur. Après qu’ils se furent rassasiés et désaltérés à loisir, les jeunes filles enlevèrent les plats et les nappes, eux-mêmes retournant s’asseoir en face l’un de l’autre. Le Gallois demanda alors à la dame quel était ce château et pourquoi il n’y avait vu aucun chevalier, aucun sergent, aucun valet.
« Seigneur, répondit-elle, je ne te le cacherai pas, car tu me parais un chevalier loyal et sincère. Veux-tu en écouter l’histoire ? – Dame, protesta le Gallois, je ne serais ni loyal ni sincère si je n’écoutais ce que tu veux bien me conter. Cependant, sans t’ennuyer, je voudrais aussi savoir pourquoi la porte s’est refermée dès que je fus entré dans la forteresse, et ce qu’il en est du marteau posé sur la longue table. J’aimerais encore que tu me dises pourquoi je n’ai rencontré aucune d’entre vous avant d’avoir frappé du marteau sur la table.
— Seigneur, certes je conçois que tout cela ait pu t’étonner. Aussi vais-je te l’expliquer. Ainsi que tu l’as constaté, il n’y a pas d’homme ici, cela parce que nous n’avons pas voulu que notre tranquillité fût troublée par la présence de valets, d’hommes d’armes ou de chevaliers bruyants et incommodes. Nous séjournons ici en un désert éloigné de toute habitation, de toute forteresse, de toute ville, et nous sommes toutes des femmes de grande noblesse, d’une seule lignée, d’une seule manière de vivre. Je ne parle pas de notre richesse car, sans mentir, nous avons tout ce qui nous plaît et tout ce que nous désirons. C’est moi qui, séduite par la beauté de ces lieux, fis bâtir ce château ; il est placé dans une courbe de la grande rivière et, je puis te l’affirmer, jamais maçon n’y mit la main, jamais vilain n’en laboura la terre. Je vais même te révéler qui a édifié ma demeure, ainsi que ses entours : quatre femmes avenantes et belles, de grande famille, qui étaient expertes en l’art de la pierre, et ce sont quatre autres femmes qui, par habileté et finesse, ont encore pris soin d’en orner les murs, de fabriquer les meubles, d’y tendre les plus belles tapisseries. Bref, aucune main d’homme n’a jamais pris part à la fondation de ce château. Nous en sommes seules responsables.
« Cependant, lorsque, par hasard, il advient qu’un chevalier en quête d’aventures arrive ici, nous tenons à nous assurer qu’il a véritablement besoin de repos et d’hospitalité.
Weitere Kostenlose Bücher