Perceval Le Gallois
aussi dense qu’au fond d’un puits. Sans plus attendre, Perceval quitta la chapelle, rejoignit son cheval, l’enfourcha et se remit en route, priant Dieu de le garder des mauvaises rencontres, ne pouvant, en son esprit, s’empêcher cependant de ruminer les merveilles qu’il avait vues et tout ce qui lui était arrivé.
À force de chevaucher, il parvint à un carrefour qu’ornait un chêne majestueux dont les branches retombaient jusqu’à terre et formaient comme un cabinet tapissé d’herbe verdoyante. Il décida de s’arrêter là pour se reposer. Après avoir ôté le frein de son cheval, il laissa l’animal paître et se délasser tandis que lui-même s’étendait sur l’herbe, à l’abri du chêne. Il y dormit paisiblement jusqu’au lever du jour. Alors, il remonta en selle et chevaucha toute la matinée dans la vallée où le soleil luisant et clair irisait de mille feux les perles de rosée.
Soudain, il entendit l’appel d’un cor qui sonna trois fois, très haut et à longue haleine. Tout heureux à l’idée de rencontrer le sonneur, il se mit à écouter attentivement et entendit un autre cor sonner à son tour trois fois comme pour lancer un appel. Sans comprendre ce que cela signifiait, il s’avança vers le lieu d’où provenait la sonnerie et vit déboucher des chiens lancés à la poursuite d’un grand sanglier. Derrière venaient, de toute la vitesse de leurs chevaux bien harnachés, quatre veneurs. Perceval alla à leur rencontre et les salua à haute voix. L’un d’eux s’arrêta près de lui et lui demanda où il allait. « Je cherche le Château des Merveilles, répondit-il. – Par Dieu tout-puissant ! s’écria l’homme, nous en venons. Si tu franchis cette colline que tu peux voir de tes propres yeux, tu trouveras, par-delà un arbre, un chemin qui te conduira où tu veux aller. » Le valet reprit sa poursuite et laissa Perceval fort content de ne plus errer.
Or, une fois sur la colline, il ne trouva pas l’arbre qu’avait mentionné le veneur. Et sur l’autre versant ne se déployaient jusqu’à l’horizon que des bois dépourvus de la moindre route. Au surplus, si loin que portât la vue, ne se décelait nulle trace d’une quelconque forteresse. Perceval s’était immobilisé, prêt à sombrer dans le désespoir, quand survint une jeune fille. Richement vêtue de soie bleue brochée de fleurs d’argent, elle montait toute dégrafée, avec seulement un ruban noué à sa ceinture, un grand palefroi gris. Perceval admira sa beauté et la pureté de son visage, se disant en lui-même qu’elle devait être sans doute une fée. Quand elle fut à sa hauteur, il la salua au nom de Dieu, et elle répondit : « Seigneur, que Dieu te donne joie et bonheur. Dis-moi, s’il te plaît : où donc as-tu passé la nuit ? As-tu couché dans cette forêt ?
— Je ne saurais te mentir, dit le Gallois ; j’ai en effet passé la nuit dans cette forêt, mais je n’y ai guère eu de confort, et j’y ai vu des choses surprenantes. » Il lui conta alors sans rien omettre son aventure, lui décrivit l’arbre, la grande lumière, la chapelle où gisait sur l’autel le corps du chevalier, lui narra les circonstances de son départ et son retour auprès du cheval. Il n’oublia pas davantage de lui parler de la main noire qui avait éteint le cierge et plongé la chapelle dans les ténèbres. À quoi la jeune fille répliqua : « Certes, voilà une étrange aventure ! Mais elle est le signe qu’un jour tu sauras la vérité sur la Lance qui saigne et la coupe d’émeraude qu’on nomme le Graal. » Perceval allait l’interroger et lui demander quelle direction il devait prendre, quand la jeune fille, sans lui en laisser le temps, éperonna vigoureusement son cheval gris et disparut au triple galop, laissant Perceval à sa solitude et à son désarroi (37) .
10
Le Château des Filles-Fleurs
Perceval chevauchait tristement, empruntant des chemins qui ne menaient nulle part, revenant sans cesse sur ses pas, traversant des forêts et des vallées où ne se trouvaient ni ville, ni forteresse, ni maison de chevalier susceptible de l’héberger. Il lui fallut encore, cette nuit-là, demeurer dans la forêt, au pied d’un arbre, jusqu’à l’aurore. Quand il vit le soleil jeter ses premiers rayons, il remonta sur son cheval et reprit sa route, mais le jour s’écoula sans qu’il eût croisé maison, vilain, chevalier, valet ni autre créature humaine. Une
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