Perceval Le Gallois
son brachet, ainsi que le trophée qu’elle avait souhaité obtenir.
Les paroles de Perceval emplirent le chevalier d’une violente rage. Il abaissa sa lance, fit prendre du recul à son cheval et, d’un brusque élan, il se précipita sus au Gallois. Le choc fut rude et ardent, mais la lutte ne dura guère. Au premier assaut, Perceval frappa si durement son adversaire à la tête qu’il le désarçonna et l’envoya rouler à terre sur son bouclier puis, sautant à terre, se précipita sur lui, l’épée levée, prêt à la lui plonger dans la gorge. Le vaincu lui cria merci, mais il était si aveuglé par la fureur qu’il frappa de toutes ses forces. Toutefois, le coup dévia sur le heaume. « Ah ! Seigneur ! gémit le chevalier, fais-moi grâce, et je t’obéirai en tous points ! Par Dieu tout-puissant, c’est une grave faute que de tuer un homme qui s’avoue vaincu ! »
La colère de Perceval retomba et fit place à une grande tristesse. Les avis de son oncle lui étaient revenus en mémoire. Hélas ! Se laisserait-il longtemps encore aveugler par la haine ? Il se redressa, rengaina son épée. « Tu as raison, dit-il. Je te ferai grâce, à la condition que tu ailles te mettre en la prison du roi Arthur. Tu lui raconteras toute l’affaire et lui diras que c’est Perceval le Gallois qui t’a vaincu. De plus, tu emmèneras avec toi cette jeune femme et tu la présenteras à la reine Guenièvre en priant celle-ci de la prendre au nombre de ses suivantes. – Je ferai comme tu le veux », répondit le chevalier. Il se remit péniblement debout puis invita Perceval à se reposer dans son pavillon. « Je t’en remercie, seigneur, dit le Gallois, mais j’ai autre chose à faire. » Et, sans ajouter un mot, il plaça la tête du Blanc Cerf sur l’arçon de sa selle, prit le brachet sur l’un de ses bras, sauta sur son cheval et s’en fut.
Tout en chevauchant, il se repentait de sa violence et, en même temps, priait Dieu de le conduire vers le Château de l’Échiquier, de sorte qu’il pût tenir sa promesse de rendre le brachet à la jeune fille aux cheveux noirs. L’image de celle-ci vint alors lui tourmenter l’esprit : elle était si belle, avec sa peau plus blanche que neige et ses joues légèrement empourprées comme une rose de printemps ! Un insurmontable désir le tenaillait de la prendre en ses bras et de l’étendre contre lui. Assurément, il avait oublié l’Impératrice. Il avait oublié Angharat à la main d’or. Il avait oublié Uatach, la fille de la sorcière Scatach. Il avait oublié Blodeuwen qui l’attendait dans la forteresse de Kaerbeli. Quant aux femmes qu’il avait vues la nuit précédente dans le château féerique, elles n’étaient probablement que les fleurs odorantes parmi lesquelles il avait dormi, bercé par les rêves les plus délicieux.
Or, tandis que son cœur se réjouissait, il vit venir à sa rencontre une mule qui, plus blanche que givre sur branche en février, trottait allégrement sur le chemin. Munie d’un frein d’or et parée d’une housse de velours, elle semblait errer toute seule. Le sentier étant très étroit, Perceval se trouva soudain nez à nez avec elle, qui s’arrêta et se mit en travers. Le jour tirait à sa fin, et l’on voyait déjà le ciel s’assombrir. Perceval regarda la mule et s’étonna de sa housse si joliment décorée. Il contemplait la bête et s’émerveillait quand derrière, accourant sur le chemin, parut une jeune fille belle et gracieuse, la jupe retroussée et l’air très inquiet.
« Seigneur ! cria-t-elle sitôt parvenue à portée de voix, rends-moi ma mule qui est devant toi ! En ce jour, elle m’a grandement contrariée. Après le repas, j’avais mis pied à terre pour me reposer sous un arbre et, sans raison, elle s’est éloignée et voici que je cours, depuis, sans parvenir à la rattraper ! – Très volontiers, douce amie, répondit Perceval. Approche, et je t’aiderai à monter sur son dos. – Je n’ai pas besoin que tu m’aides à monter, dit-elle avec hargne ; je saurai bien le faire seule. Il te suffit de retenir ma mule par la bride. »
Là-dessus, elle s’approcha et, sans hésiter, sauta sur le dos de l’animal et eut sitôt fait que la mule, rebroussant chemin, reprit son petit trot allègre. Perceval la suivait, qui lui demanda doucement d’où elle venait, où elle allait et si elle connaissait un lieu où il pourrait passer la nuit, quelque château
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