Perceval Le Gallois
fois de plus, il se résigna à dormir dans la forêt, mais la chose qui le dépitait le plus était de ne rien avoir à manger, et la faim le tourmentait fort.
Au troisième jour, il fit une grande randonnée qui, au milieu de l’après-midi, le mena vers une rivière qui longeait la route à une portée d’arbalète. Elle était large et profonde, et il ne savait comment la traverser quand, de loin, il vit dans la brume surgir un sommet. Il se hâta de l’escalader et, de là, examina les alentours. Sous ses yeux s’étendaient la plus belle campagne et les plus belles prairies qu’il eût vues depuis longtemps, et il se reprit d’autant mieux à espérer qu’il discernait, là-bas, la silhouette d’un grand logis. Il se dirigea de ce côté-là.
Soudain, au sortir d’un bosquet, il vit se dresser devant lui un riche château dont les murs étaient de divers marbres de couleur agréablement agencés. La tour en était haute et bien faite et, tout autour, s’apercevaient des habitations grandes et larges, richement ornées du faîte au dallage. Sans hésiter, Perceval pressa son cheval, passa le pont et déboucha dans une grande cour. Il avait à peine franchi la poterne que la porte d’entrée se referma derrière lui sans que personne l’eût touchée. Perceval eut un moment d’inquiétude : pourquoi n’y avait-il personne dans ce château ? Comment la porte s’était-elle refermée ? Il craignit alors de ne plus pouvoir sortir de cette forteresse qui paraissait inhabitée.
Il s’en fut néanmoins tout droit à la grande salle. À l’entrée, il remarqua quatre colonnettes de cuivre très ouvragées sur lesquelles était disposée une table d’airain finement travaillé et d’une longueur inhabituelle. Dessus reposait un marteau d’acier précieux dont les bords étaient dorés. À mieux examiner la table et les colonnettes, le marteau et tous les ornements de la salle, ce château devait appartenir à un homme des plus opulents. Après avoir tout attentivement regardé, Perceval sortit, attacha son cheval au montoir, puis il retourna dans la salle. Mais il n’y trouva toujours personne, ni chevalier, ni dame, ni valet, ni servante. Et il eut beau appeler à haute voix, nul ne répondit.
« Par ma foi, se dit-il, éprouvant un malaise croissant, voici une maison qui est vaste et riche, et pourtant je n’y vois ni pain ni sel ! Je serais autrement mieux loti dans la cabane d’un laboureur ou d’un charretier ! Je risque de mourir de faim dans cette demeure ! » La colère le prit et, d’un geste violent, il saisit le marteau et en frappa trois coups sur la table, laquelle rendit un tel son que la salle en fut secouée de fond en comble. Alors apparut une jeune fille avenante et belle qui était entrée sans que Perceval s’en fût aperçu. Elle s’appuyait sur le rebord de la fenêtre et, tout échevelée, semblait au comble du courroux. « Vassal ! s’écria-t-elle, tu viens de te conduire comme un rustre ! Pourquoi avoir frappé si fort sur cette table ? Et pourquoi venir ici ? Dis-le-moi sans tarder. – Amie, je ne te le cacherai pas : je suis venu ici dans l’espoir qu’on m’hébergerait.
— Dans ce cas, dit la jeune fille, je pense que tu seras satisfait. Il n’est pas de meilleur hôtel que celui-ci, sache-le, et je suis sûre que depuis Noël tu n’auras eu gîte si parfait. Cette salle est vaste, comme tu le vois, et tu peux y prendre tes aises tant que tu voudras. » Sur ce, elle se précipita vers la porte et disparut au-dehors. Cela ne faisait pas l’affaire de Perceval. « Jeune fille ! cria-t-il, au nom de Dieu, reviens, je te prie ! » Mais il ne reçut aucune réponse. Et, à force de se demander en quel genre de manoir il se pouvait trouver, il commençait à s’en effrayer et ne savait que penser ni que faire. Désireux néanmoins d’en savoir davantage et, surtout, de manger, car la faim le torturait, il partit à la recherche de la jeune fille à travers le château. Il n’y eut ainsi chambre qu’il ne visitât, ni garde-robe, ni cellier, ni loge, ni salle, ni cuisine, mais tout était désert, et il ne vit nulle créature. En repassant par la grande salle, il ne songeait plus qu’à rejoindre son cheval quand une idée lui traversa l’esprit. Il s’arrêta devant la table, reprit le marteau et en frappa trois coups aussi forts que les précédents. La salle et le château tout entier frémirent, et une autre jeune fille apparut
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