Petite histoire de l’Afrique
à la progression démographique. Tout cela provoqua l’émergence de vastes formations politiques — les Empires luba et lunda en Afrique centrale — à partir du XVI e siècle. Mais une longue période d’assèchement relatif s’ensuivit, au cours de laquelle le processus de désertification progressive du sahel reprit. Vers 1750, le maïs(préservé sur les hauts plateaux centre-orientaux grâce à l’altitude) était encore cultivé en Afrique de l’Ouest, mais il dut ensuite céder peu à peu la place au sorgho et au mil.
Il n’empêche : cette tendance lourde fut scandée par des accalmies, et le cœur du XIX e siècle en a sans doute été une. L’Afrique connut alors une phase de pluviosité satisfaisante. Ce fut aussi une période assez réactive des pouvoirs locaux face aux premières tentatives européennes, notamment britanniques et françaises, de s’aventurer vers l’intérieur à partir des côtes du Sénégal, de la côte des Esclaves (futur Dahomey) ou de la côte de l’Or. Entre la fin des années 1830 et le début des années 1870, les accidents climatiques furent suffisamment espacés pour permettre aux populations de s’en remettre assez rapidement : si durs fussent-ils, les excès de sécheresse n’avaient alors lieu en moyenne que tous les dix ans, ce qui laissait une marge de récupération importante. Mais, à partir des années 1860, la sécheresse se mit à frapper en moyenne tous les cinq ans.
Les grandes difficultés reprirent vers la fin du XIX e siècle ; à partir de 1880, les eaux du lac Victoria baissèrent à nouveau. Cette recrudescence de sécheresse sévit à travers le continent subsaharien tout entier dans le dernier tiers du siècle. Les missionnaires du Lesotho, déjà cités, rapportent que, presque chaque année, les récoltes étaient affectées par le manque d’eau ou les sauterelles. La perte répétée des troupeaux attaqués par la peste bovine réduisait périodiquement les peuples pastoraux à la famine. La recrudescence épidémique fut liée à la fois aux calamités environnementales et aux progrès de la pénétration coloniale, facilitée par l’affaiblissement des populations.Toutes proportions gardées, les raisons sont finalement assez similaires à celles qui ont entraîné le dépeuplement de l’Amérique latine quatre siècles plus tôt : le désastre causé par des maladies importées contre lesquelles les populations n’étaient pas protégées par une longue accoutumance. La conquête européenne, entrée dans le dernier quart du siècle dans sa phase d’accélération finale, aboutit dans ses cas les plus violents, comme au Congo belge, à la destruction entre 1876 et 1920, selon l’historien Jan Vansina, de près de la moitié de la population totale de la région. Partout, la population aurait brutalement chuté au temps de la conquête, entre 1880 et 1920 : du tiers à la moitié selon les cas et les études, avec des pertes particulièrement élevées en Afrique centrale et orientale, notamment, mais pas seulement, en raison de l’extension dramatique de la maladie du sommeil. En effet, cette extraordinaire efficacité létale put être atteinte grâce à la combinaison de la guerre, de la maladie et de la faim. Les grandes épidémies — l’une des principales causes de mortalité — ne reculèrent qu’après la grippe espagnole de 1918-1919 et 1921-1922 (qui causa plusieurs millions de morts en Afrique), la lutte contre la maladie du sommeil (1914-1950) et la vaccination contre la fièvre jaune (à partir de 1940).
L’augmentation globale, entre les années 1880 et 1900, de la population du continent, dont on pense qu’elle avait fini par atteindre 120 millions d’habitants, serait donc exclusivement due à l’amélioration démographique des extrémités nord et sud (Algérie et Afrique du Sud).
La phase de sécheresses récurrentes entamée au XIX e siècle se prolongea par intermittence jusque dans le premier tiers du XX e siècle. Elle reprit à nouveau à partir des années 1970. Aujourd’hui, le désert avance à la vitesse inquiétante de 7 km par an, et le lac Tchad, naguère réserve incomparable d’eau et de poisson en plein désert, est sans doute en voie d’assèchement. Mais on ne peut plus attribuer aux seuls aléas climatiques ce genre de catastrophe. Désormais, pas plus que ne l’est en Inde une mauvaise mousson, une grande sécheresse n’est la cause des pires
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