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Petite histoire de l’Afrique

Petite histoire de l’Afrique

Titel: Petite histoire de l’Afrique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Catherine Coquery-Vidrovitch
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étaient différentes de celles des États européens en formationdepuis le XVI e  siècle. Les Européens les appelèrent des « tribus » ou même des « races » (mention présente sur les formulaires d’identité en AOF jusqu’en 1960). Pour faire moins « colonial », les ethnologues reprirent le mot d’origine allemande « ethnie ». Il en est issu des confusions entre « peuple », « État » et « ethnie ».
    À l’époque coloniale, les administrateurs eurent comme souci de fixer des populations jusqu’alors très mobiles : on dessina sur les cartes des frontières-lignes, à l’intérieur desquelles on traça des subdivisions (les « cercles »). On obligea les gens à y résider, et on les « catégorisa » en tribus (que les chercheurs nommèrent à nouveau ethnies , comme s’il s’agissait des mêmes qu’avant) ; ainsi, le terme « Yoruba » — qui ne désignait auparavant que les habitants de la région d’Oyo — fut imposé par les Britanniques pour désigner une aire beaucoup plus vaste, incluant tous les individus de langue et de culture proches, mais dont l’organisation politique était auparavant très diverse. De leur côté, les groupes africains soumis réagirent contre le pouvoir blanc : ils se tournèrent vers un passé plus rêvé que réel et, comme tous les peuples, le reconstruisirent plus beau et plus uni. Ces mythes d’origine furent renforcés par une réaction régionaliste et traditionniste qui avait commencé à prendre forme bien avant la colonisation. Le XIX e  siècle fut en effet caractérisé par de grands empires de conquête intérieurs : en Afrique de l’Ouest, la tentation fut alors grande pour ces nouveaux pouvoirs issus des djihads d’accréditer un passé d’islam fervent qui était en réalité loin d’aller de soi. Les ethnologues coloniaux, quis’engouffrèrent dans cette faille, contribuèrent largement à renforcer ces reconstructions identitaires. Un exemple intéressant est celui de l’élaboration du « peuple peul », qui résulte d’un amalgame complexe et ancien. À l’origine se trouve sans doute un petit noyau humain d’origine saharienne, refoulé il y a quelques millénaires vers le haut Sénégal par l’assèchement du désert. Des poussées démographiques périodiques ont favorisé des métissages nombreux avec les populations environnantes, qui ont trouvé leur plus grande extension au fil du XIX e  siècle. À partir de la fin du XVIII e  siècle, la conjonction des informations échangées dans les deux sens par les chefs et autres informateurs locaux et les voyageurs et ethnologues européens, dont chaque partenaire réinterprétait à sa façon les renseignements fournis par l’autre, a contribué à l’« invention » d’une culture peule multiséculaire ; or il s’agit en réalité du fruit de rencontres et d’échanges incessants entre divers groupes migrants finalement unifiés par leur conversion tardive à l’islam, essentiellement au XIX e  siècle 3 .
    Ce double courant, de revendication nationalitaire autochtone d’une part et, d’autre part, de volonté classificatoire coloniale, rigidifia et créa même parfois des  « ethnies », dont on cartographiait désormais le territoire. Au moment de l’indépendance, lorsque les élections furent généralisées, les députés cherchèrent à se faire élire dans leur région d’origine. Ils développèrent alors l’argument suivant : « Je suis de votre région, je suis de la même ethnie que vous. » Il s’agit cette fois de manipulations politiciennes modernes : ce qu’on a appelé le tribalisme. Ce phénomène, si caractéristique du génocide rwandais (1994), fut peu ou prou exploité partout ailleurs.
    Il est donc faux de parler de guerres « ethniques ». Ce sont des guerres modernes de lutte pour le pouvoir et la terre, s’appuyant sur des revendications identitaires reconstruites et manipulées. C’est essentiel pour comprendre l’histoire récente du Rwanda ou de la Côte-d’Ivoire (par exemple) : les problèmes y étaient d’abord d’ordre politique et foncier, et non d’ordre ethnique, quand bien même ils en empruntaient le discours et la forme. Tout cela relève d’un regard eurocentré, qui ne cherche à comprendre les questions africaines que du point de vue de l’observateur européen. Cela ne signifie pas que les « ethnies » n’existent pas aujourd’hui ; certains

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