Petite histoire de l’Afrique
le royaume ganda (devenu en 1894 le cœur de l’Ouganda colonial) — comptent parmi ces formations aidées par une longue histoire collective qui avait doté leurs habitants d’une langue et donc d’une culture communes. Les dérives nationalitaires de purification ethnique dont ils furent le théâtre ne sont qu’unavatar récent du déséquilibre démographique et politique accéléré par les traumatismes de l’histoire coloniale et postcoloniale.
Quant à l’arrière-pays sahélo-soudanien de l’Afrique occidentale, il connut une explosion de conversions à l’islam à la suite des djihads qui se généralisèrent à partir de la fin du XVIII e siècle. Pourquoi cette expansion soudaine si forte ? Depuis le XII e siècle au moins, l’islam était présent mais se limitait aux milieux dirigeants citadins qui l’utilisaient comme médiation diplomatique et commerciale avec le monde saharien et méditerranéen. C’était aussi un savoir religieux urbain respecté, conservé notamment à Tombouctou sous la forme de manuscrits précieux ; mais, sauf en Sénégambie où l’islam maraboutique fut plus précoce qu’ailleurs et où, dès le XVII e siècle, se développa un antagonisme fort entre religieux (dits « marabouts ») et pouvoirs traditionnels « païens » préétablis, il n’était ni rural ni populaire. Or, tout à coup, les conversions à l’islam se multiplièrent chez les Peuls, éleveurs dans les campagnes du sahel, donnant naissance à des djihads entrepris par de grands chefs à la fois religieux et militaires. Il s’agissait de mouvements idéologiques d’inspiration conservatrice ; le modèle de référence était le temps des Justes des débuts de l’islam, réaction religieuse prônant le retour à une foi purifiée. Mais c’était aussi une formule mobilisatrice de rénovation de l’ordre social répondant à sa façon au défi européen lancé depuis les côtes africaines, d’une manière indirecte et filtrée, bien avant le XIX e siècle.
Le premier soulèvement peul eut lieu dans le massif du Fouta-Djalon, où prennent leur source les fleuves Niger, Sénégal et Gambie (en Guinée actuelle). Le XVIII e siècle fut une période de rivalités intenses entre ce peuple pasteur gagné progressivement à l’islam, qui l’emporta finalement sur les cultivateurs locaux animistes qui avaient dominé jusqu’alors. Vers 1770, les Peuls avaient créé une confédération de neuf provinces contrôlant les pistes de commerce sur environ 300 kilomètres. Il s’ensuivit une réelle prospérité fondée sur un système interne hiérarchisé et esclavagiste. La production de riz et de bétail était favorisée par l’altitude, qui protégeait les troupeaux de la mouche tsé-tsé, et par la proximité relative de la côte que le Fouta approvisionnait en vivres et en esclaves sans être exposé directement aux convoitises européennes. Dans le même temps, la suprématie musulmane entraîna l’éclosion d’une culture poétique remarquable, transcrite du pular en caractères arabes. Une intense activité intellectuelle draina des étudiants venus de toutes les régions. Les méthodes africaines d’enseignement de l’islam furent en effet mises au point dans le Fouta.
Les plus célèbres djihads se succédèrent tout au long du XIX e siècle. Dès 1804, Ousmane dan Fodio, très saint et savant intellectuel, fut le premier à partir à la conquête du pays haoussa (au nord du Nigeria actuel) qu’il entendait ramener à la foi orthodoxe des premiers siècles de l’hégire. En quelques années, le territoire dominé atteignit 1 300 kilomètres d’est en ouest et 650 kilomètres du nord au sud. Les différents États issus du djihad, dirigéspar des sultans ou des émirs ( amir ), reconnaissaient le pouvoir supérieur du califat central de Sokoto. Dan Fodio, grand érudit peul né en 1754, était fils d’imam ; il vécut entouré de manuscrits, dont certains venaient d’Afrique du Nord ou d’Arabie, dans une vaste maisonnée polygame et riche en esclaves où se côtoyaient Peuls, Haoussas et Touaregs, d’où un syncrétisme certain entre nomades et sédentaires. Lui et son entourage, constitué de Peuls venus d’un peu partout suivre son enseignement, surent à merveille résoudre le problème de toutes ces théocraties : comment passer d’une religion minoritaire tolérée, et adoptée par les chefs seulement quand elle leur paraissait utile, à celle
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