Petite histoire de l’Afrique
aristocratique, quelle que soit la « race » originelle ; il fit élever à la cour de Russie un jeune esclave supposé être le fils d’un prince camerounais, qui devint l’un de ses principaux généraux etétait le bisaïeul du poète Pouchkine. Néanmoins, cette « ouverture » disparut progressivement au XIX e siècle alors que s’élaboraient les principes de ce qu’on peut appeler le racialisme (différent du racisme en ce qu’il reposait sur ce que l’on considérait alors comme des preuves scientifiques). Le premier à différencier trois races (la blanche, la jaune et la noire) fut le naturaliste Buffon à la fin du XVIII e siècle. Cela correspondait à la découverte de l’intérieur du continent par les Européens. L’appréhension de la géographie et des sociétés africaines s’accompagna dès lors de la systématisation de l’idée d’inégalité entre les races. La distinction entre race supérieure — blanche bien entendu — et races inférieures — la plus dénigrée étant la noire — fut finalement « scientifisée » par les spécialistes, médecins, biologistes et anthropologues physiciens du dernier tiers du XIX e siècle. Le tout découlait quasi directement de l’opprobre né, au cours des siècles précédents, de la traite dite « négrière » (le mot lui-même insiste sur la couleur). À la fin du XIX e siècle, la traite atlantique avait presque entièrement disparu, mais la conviction de l’inégalité raciale et de l’incapacité des Noirs à assurer leur propre développement était ancrée dans les consciences occidentales. Quant à la première moitié du XX e siècle, elle fut caractérisée par l’essor du racisme , devenu pur préjugé à partir du moment où les progrès de la génétique, dans les années 1920, avaient démontré que l’ espèce humaine était unique 2 . La conviction d’une différence entre races,hélas, ne s’en maintiendra pas moins solidement au-delà, puisque le programme de géographie de sixième invitait encore en 1960, et en sus à propos de l’Afrique, à l’étude des « trois grandes races », mention qui ne disparaîtra des instructions de l’Éducation nationale qu’en 1971 3 .
Ce défaut de connaissance et ce mépris envers les Noirs ont donc une longue histoire. On peut en suivre l’accentuation dans la littérature spécialisée tout au long du XIX e siècle. À la curiosité ou même à l’enthousiasme des premiers découvreurs succédèrent des récits de plus en plus critiques, en appelant à la conquête coloniale de ces peuples barbares soumis au joug de despotes sanguinaires et esclavagistes — et qui restaient donc à « civiliser ». Ces idées seront reprises sous une autre forme lors de la colonisation. Celle-ci, à son tour, a établi une différence légale, statutaire, entre le citoyen (quelques centaines d’« assimilés ») et la masse des « indigènes » ( natives en anglais), c’est-à-dire des individus assujettis à un système juridique spécial, celui des codes dits de l’indigénat. Ce régime inégalitaire, inventé en Kabylie en 1874 à la suite de l’insurrection de 1871, fut ensuite élargi au reste de l’Algérie puis adapté aux autres colonies françaises. C’est en « Afrique noire », où il ne disparaîtra qu’en 1946, qu’il dura le plus longtemps. L’héritage légué par l’Occident est donc lourd ; l’imaginaire occidental contemporain est nourri de ce passé cumulatif de mépris pour le Noir ou l’Africain, passé de païen àesclave, puis d’esclave à indigène. Aujourd’hui, cela aboutit à l’opposition entre le Français supposé « de souche » (blanc et chrétien) et l’immigré (sous-entendu noir ou maghrébin musulman). Cette tendance nationaliste exacerbée a finalement accouché, en France métropolitaine, d’une dernière aberration : le non-concept institutionnel d’« identité nationale ». Cette entité limitée à un Hexagone imaginaire sécrété par le « roman national » a abouti, entre autres, au détestable discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 juillet 2007, selon lequel l’homme africain n’était « pas assez entré dans l’histoire ».
Les sources
Les recherches sur l’Afrique furent ainsi largement dénaturées par des siècles de préjugés véhiculés par une majorité d’historiens, d’ethnologues et d’anthropologues, de l’époque coloniale à nos
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