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Pilote de guerre

Pilote de guerre

Titel: Pilote de guerre Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine de Saint-Exupéry
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savez… c’est idiot de se faire descendre chez soi !
    — … descendront rien… ça les exerce.
    Dutertre est amer.
    Je ne suis pas amer. Je suis heureux. J’aimerais parler aux hommes de chez moi.
    — Euh… oui… tirent comme des…
    Tiens, il est vivant celui-là ! Je remarque que mon mitrailleur n’a jamais encore, spontanément, manifesté son existence. Il a digéré toute l’aventure sans éprouver le besoin de communiquer. À moins que ce ne soit lui qui ait prononcé « Ah ! la ! la ! » au plus fort du canon. De toute façon ce ne fut pas une débauche de confidences.
    Mais il s’agit ici de sa spécialité : la mitrailleuse. Quand il s’agit de leur spécialité, les spécialistes, on ne peut plus les retenir.
    Je ne puis pas ne pas opposer ces deux univers. L’univers de l’avion et celui du sol. Je viens d’entraîner Dutertre et mon mitrailleur au-delà des limites permises. Nous avons vu flamber la France. Nous avons vu luire la mer. Nous avons vieilli en haute altitude. Nous nous sommes penchés vers une terre lointaine, comme sur des vitrines de musée. Nous avons joué dans le soleil avec la poussière des chasseurs ennemis. Puis nous sommes redescendus. Nous nous sommes jetés dans l’incendie. Nous avons tout sacrifié. Et là, nous avons plus appris, sur nous-mêmes, que nous n’eussions appris en dix années de méditation. Nous sommes sortis enfin de ce monastère de dix années…
    Et voici que, sur cette route, que peut-être nous survolions pour monter sur Arras, la caravane, quand nous la retrouvons, a progressé, au plus, de cinq cents mètres.
    Le temps qu’ils déménagent une voiture en panne jusqu’au fossé, qu’ils changent une roue, qu’ils tambourinent immobiles sur le volant, pour laisser un chemin de traverse liquider ses propres épaves, nous aurons regagné l’escale.
    Nous enjambons la défaite tout entière. Nous sommes semblables à ces pèlerins que ne tourmente pas le désert, bien qu’ils y peinent, car, déjà, ils habitent de cœur la ville sainte.
    La nuit qui se fait parquera cette foule en vrac dans son étable de malheur. Le troupeau se tasse. Vers quoi crierait-il ? Mais il nous est donné de courir vers les camarades, et il me semble que nous nous hâtons vers une fête. Ainsi une simple cabane, si elle est éclairée au loin, change la plus rude nuit d’hiver en nuit de Noël. Là-bas où nous allons nous serons accueillis. Là-bas où nous allons nous communierons dans le pain du soir.
    Suffit, pour aujourd’hui, comme aventure : je suis heureux et fatigué. J’abandonnerai aux mécaniciens l’avion enrichi de ses trous. Je me déshabillerai de mes lourds vêtements de vol, et, comme il est trop tard pour jouer un verre contre Pénicot, je m’assiérai tout simplement pour le dîner parmi les camarades…
    Nous sommes en retard. Ceux des camarades qui sont en retard ne reviennent plus. Sont en retard ? Trop tard. Tant pis pour eux ! La nuit les bascule dans l’éternité. À l’heure du dîner le Groupe compte ses morts.
    Les disparus embellissent dans le souvenir. On les habille pour toujours de leur sourire le plus clair. Nous renoncerons à cet avantage. Nous surgirons en fraude, à la façon des mauvais anges et des braconniers. Le commandant n’enfournera pas sa bouchée de pain. Il nous regardera. Il dira peut-être : « Ah !… vous voilà…» Les camarades se tairont. Ils nous observeront à peine.
    J’avais peu d’estime, autrefois, pour les grandes personnes. J’avais tort. On ne vieillit jamais. Commandant Alias ! Les hommes sont purs aussi à l’heure d’un retour : « Te voilà, toi qui es des nôtres…» Et la pudeur fait le silence.
    Commandant Alias, Commandant Alias… cette communauté parmi vous, je l’ai goûtée comme un feu pour aveugle. L’aveugle s’assoit et étend les mains, il ne sait pas d’où lui vient son plaisir. De nos missions nous rentrons prêts pour une récompense au goût inconnu, qui est simplement l’amour.
    Nous n’y reconnaissons pas l’amour. L’amour auquel nous songeons d’ordinaire est d’un pathétique plus tumultueux. Mais il s’agit, ici, de l’amour véritable : un réseau de liens qui fait devenir.

XXIV
    J’ai interrogé mon fermier sur le nombre des instruments. Et mon fermier m’a répondu :
    — Je ne connais rien de votre boutique. Faut croire, les instruments, qu’il en manque quelques-uns : ceux qui nous auraient fait gagner la

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