Pilote de guerre
ne le tire à soi, se noie dans la confusion des problèmes. Je me souviendrai de la leçon que m’a donnée mon ennemi lui-même. Quelle direction faut-il que choisisse la colonne blindée pour investir les arrières de l’adversaire ? Il ne sait répondre. Que faut-il que soit la colonne blindée ? Il faut qu’elle soit – contre la digue – poids de la mer.
Que faut-il faire ? Ceci. Ou le contraire. Ou autre chose. Il n’est point de déterminisme de l’avenir. Que faut-il être ? Voilà bien la question essentielle, car l’esprit seul fertilise l’intelligence. Il l’engrosse de l’œuvre à venir. L’intelligence la conduira à terme. Que doit faire l’homme pour créer le premier navire ? La formule est bien trop compliquée. Ce navire naîtra, en fin de compte, de mille tâtonnements contradictoires. Mais cet homme, que doit-il être ? Ici je tiens la création par sa racine. Il doit être marchand ou soldat, car alors, nécessairement, par amour des terres lointaines, il suscitera les techniciens, drainera les ouvriers, et lancera, un jour, son navire ! Que faut-il faire pour que toute une forêt s’envole ? Ah ! c’est trop difficile… Que faut-il être ? Il faut être incendie !
Nous entrerons demain dans la nuit. Que mon pays soit encore quand reviendra le jour ! Que faut-il faire pour le sauver ? Comment énoncer une solution simple ? Les nécessités sont contradictoires. Il importe de sauver l’héritage spirituel, sans quoi la race sera privée de son génie. Il importe de sauver la race, sans quoi l’héritage sera perdu. Les logiciens, faute d’un langage qui concilierait les deux sauvetages, seront tentés de sacrifier ou l’âme, ou le corps. Mais je me moque bien des logiciens. Je veux que mon pays soit – dans son esprit et dans sa chair – quand reviendra le jour. Pour agir selon le bien de mon pays il me faudra peser à chaque instant dans cette direction, de tout mon amour. Il n’est point de passage que la mer ne trouve, si elle pèse.
Aucun doute sur le salut ne m’est possible. Je comprends mieux l’image de mon feu pour aveugle. Si l’aveugle marche vers le feu, c’est qu’est né en lui le besoin du feu. Le feu déjà le gouverne. Si l’aveugle cherche le feu, c’est que déjà il l’a trouvé. Ainsi le sculpteur tient déjà sa création s’il pèse vers la glaise. Nous, de même. Nous ressentons la chaleur de nos liens : voilà pourquoi nous sommes déjà vainqueurs.
Notre communauté nous est déjà sensible. Il nous faudra certes l’exprimer, pour rallier à elle. Ceci est effort de conscience et de langage. Mais il nous faudra aussi, pour ne rien perdre de sa substance, nous faire sourds aux pièges des logiques provisoires, des chantages et des polémiques. Nous devons, avant tout, ne rien renier de ce dont nous sommes.
Et c’est pourquoi, dans le silence de ma nuit de village, appuyé contre un mur, je commence, au retour de ma mission sur Arras – et éclairé, me semble-t-il, par ma mission – de m’imposer des règles simples que je ne trahirai jamais.
Puisque je suis d’eux, je ne renierai jamais les miens, quoi qu’ils fassent. Je ne prêcherai jamais contre eux devant autrui. S’il est possible de prendre leur défense, je les défendrai. S’ils me couvrent de honte, j’enfermerai cette honte dans mon cœur, et me tairai. Quoi que je pense alors sur eux, je ne servirai jamais de témoin à charge. Un mari ne va pas de maison en maison instruire lui-même ses voisins de ce que sa femme est une gourgandine. Il ne sauvera pas ainsi son honneur. Car sa femme est de sa maison. Il ne peut s’ennoblir contre elle. C’est une fois rentré chez lui qu’il a le droit d’exprimer sa colère.
Ainsi je ne me désolidariserai pas d’une défaite qui, souvent, m’humiliera. Je suis de France. La France formait des Renoir, des Pascal, des Pasteur, des Guillaumet, des Hochedé. Elle formait aussi des incapables, des politiciens et des tricheurs. Mais il me paraît trop aisé de se réclamer des uns et de nier toute parenté avec les autres.
La défaite divise. La défaite défait ce qui était fait. Il y a, là, menace de mort ; je ne contribuerai pas à ces divisions, en rejetant la responsabilité du désastre sur ceux des miens qui pensent autrement que moi. Il n’est rien à tirer de ces procès sans juge. Nous avons tous été vaincus. Moi, j’ai été vaincu. Hochedé a été vaincu. Hochedé ne rejette pas
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