Potion pour une veuve
de pain tendre qu’il découvrit sous elles. Même les chevaux et les mules se rapprochèrent de lui pour mâchonner les quelques miettes qu’ils pouvaient quémander ou voler.
— Où se trouve Son Excellence ? finit par demander Yusuf.
— Et Oliver Climent ? ajouta le jeune garde.
— Va chercher l’un des pages, Narcís, et demande-lui quand nous devons nous remettre à charger les bêtes, ordonna le sergent. Cela devrait les faire bouger.
Après un autre interminable intervalle, un petit page dévala le flanc de la colline en provenance du palais épiscopal et murmura quelques mots à l’oreille du sergent. Le palefrenier lança un sifflement aigu et son camarade arriva sans se hâter pour l’aider à recharger les mules. Pour la deuxième fois, Judith serra Yusuf dans ses bras, prit le bâton de son mari et donna à Raquel des instructions précises à propos du retour de ses deux plus beaux paniers.
Le capitaine monta en selle, leva le bras et, avec trois heures de retard, la petite troupe quitta la ville.
CHAPITRE III
Quand ils arrivèrent en pleine campagne, le petit groupe était déjà dispersé. Raquel venait en tête : elle serrait dans sa main les rênes de la mule de son père et conversait avec le sergent. Isaac racontait à Yusuf les voyages qu’il avait effectués dans sa jeunesse, sur terre comme sur mer, et au cours desquels il avait acquis quelques-unes de ses plus utiles connaissances médicales. Oliver se tenait à l’arrière avec le capitaine, derrière les bêtes de somme. Gabriel, Narcís et Miquel, le troisième garde, chevauchaient de part et d’autre, vaguement en alerte.
— Vous vous appelez Domingo, n’est-ce pas ? demanda timidement Raquel, bien qu’elle eût déjà fait la connaissance du sergent sur la route de Tarragone, plusieurs mois auparavant 1 .
Malgré cela, cette question lui paraissait hardie.
— Eh oui, répondit-il en souriant, c’est effectivement mon nom. Mais pas pour tout le monde. Si ces deux tire-au-flanc, ajouta-t-il en désignant Gabriel et Narcís, osaient m’appeler ainsi, je leur parlerais du pays. Mais vous, maîtresse, ne vous en privez pas.
— Sommes-nous partis plus tard que vous ne le souhaitiez ? demanda Raquel afin d’éviter les questions trop personnelles. Ou vous attendiez-vous à un tel ajournement ?
— Je ne m’attendais surtout pas à ce que quelqu’un se fasse assassiner sous nos yeux, répondit sèchement le sergent. Non, je ne pensais pas partir si tard. Même si c’est une chose à laquelle je suis toujours prêt quand j’accompagne Son Excellence, ajouta-t-il au bout d’un moment.
— Vraiment ? Je n’aurais pas cru qu’elle fût si…
— Non, Son Excellence est toujours à l’heure, mais ses gens s’attroupent toujours autour d’elle pour lui demander mille sottises et rendre le départ impossible. La seule façon de l’éviter, c’est de s’en aller avant qu’ils soient éveillés. Je ne croyais pas rencontrer de difficultés aujourd’hui, cependant.
— En quoi serions-nous si différents ?
— Mes hommes sont debout et prêts à partir dès que je leur en donne l’ordre. La plupart du temps, le palefrenier s’occupe déjà de cette jument avant même que le soleil soit levé. Je ne pensais pas non plus qu’il y aurait de problèmes avec le bailli. À en juger par son comportement, ajouta-t-il, il a passé sa jeunesse dans l’armée, mais il est vrai que je ne m’aventurerais pas à le questionner sur son passé.
— Pourquoi ? s’étonna Raquel.
— Je dirais, en dépit de ses manières amicales, que nous ne sommes pas sur un pied d’égalité. S’il est bailli, maîtresse Raquel, eh bien moi je suis comte. Mais revenons à votre question : je pensais nous voir partis à la lueur de la lune. Nous ne serons pas ce soir à Barcelone, ajouta-t-il d’un air lugubre.
Raquel se retourna pour jeter un coup d’œil à Oliver, taciturne.
— Cela va le contrarier.
— Possible, fit Domingo, mais ça ne changera rien. Nous irons le plus loin possible, ferons la sieste et chevaucherons jusqu’à ce qu’il fasse trop sombre.
— Vous ne trouverez jamais d’auberge.
Raquel se rappelait les embarras que cela avait créés lors de son précédent voyage.
— Pas besoin d’auberge. Il n’y a pas de grandes dames à protéger cette fois-ci. Nous sommes six hommes armés. Les nuits sont chaudes et sèches, et nous trouverons bien un coin tranquille pour
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