Potion pour une veuve
souviens bien, Votre Excellence, il a dit « le chien » et « une nouvelle robe » ainsi que « le chêne ». Et puis d’autres choses dont je ne puis me souvenir. Ah si. Il a parlé d’une balle et d’un poney.
— Des souvenirs d’enfance, intervint Bernat.
Berenguer semblait sceptique.
— Rien d’autre ?
— Sur la fin, dit Oliver, il a murmuré : « Dieu m’épargne et me pardonne de vous avoir failli. Priez pour moi, je vous en supplie. »
Yusuf leva les yeux, étonné, et s’apprêta à parler quand il sentit la main de son maître serrer son épaule. Oliver, il s’en rendait compte, le regardait fixement, et ce regard n’avait peut-être rien d’amical.
— Cette triste affaire vous aura retardés, dit l’évêque. Votre escorte vous attend. Le capitaine de ma garde vous accompagnera jusqu’à Caldes. Il reviendra avec maître Isaac et sa fille. Je ne les aurais pas laissés circuler seuls.
— Votre Excellence est trop bonne, murmura Isaac.
— J’ai encore quelques mots à dire à Oliver. Puis je descendrai pour vous voir partir.
Berenguer s’éloigna d’un pas résolu, suivi de près par Bernat et Oliver Climent.
— Venez-vous avec nous, seigneur ? demanda Yusuf.
Isaac se tourna vers son apprenti.
— Pendant quelque temps quand la matinée est encore fraîche. Son Excellence a pensé que c’était une bonne idée. Et cela lui a permis de me faire confiance pour une autre affaire. À présent, Yusuf, raconte-moi ce que Pasqual a réellement dit.
— Comment saviez-vous qu’Oliver mentait ? lui demanda Yusuf.
— C’est toi qui me l’as dit. Tu as sursauté comme un lapin effrayé quand le bailli a pris la parole. Je crains qu’il ne l’ait remarqué, d’ailleurs.
— Eh bien, seigneur, il… Pasqual a parlé dans une langue étrangère. À la manière d’Aragon ou de Castille, je pense. Très vite aussi. J’ai eu du mal à comprendre. Quand ils conversaient ensemble, Oliver lui répondait de la même façon.
— Tu as dû comprendre quelque chose, sinon tu n’aurais pas sursauté.
— Oui, convint Yusuf, mais je n’ai pas entendu parler de poney, de chien, de robe ou de chêne. Il me semble qu’il lui a demandé de se tenir sur ses gardes, mais je n’en suis pas certain. À la fin, il parlait très lentement, et je crois qu’il a dit : « Soyez serein, mon ami. C’est une farce, une farce… le Seigneur Se rit de moi. Priez pour moi et veillez sur mes petits. » Ce ne sont peut-être pas les mots exacts, mais c’est le sens général.
— Se rit de moi ? répéta Raquel.
— Se rit de moi, confirma Yusuf.
Le petit rassemblement qui attendait sur la place s’était réorganisé. Les bêtes de somme avaient été délestées de leurs bagages et erraient en quête d’une touffe d’herbe, sous le regard endormi de l’un des garçons d’écurie. Les gardes avaient mis pied à terre et leurs chevaux avaient rejoint leurs cousines, les mules. Narcís, le plus jeune des gardes, était allongé, son paquetage derrière sa tête : il donnait. Le capitaine s’était absenté.
Naomi serra Yusuf dans ses bras quand il réapparut et lui tendit un panier d’où s’échappaient les arômes les plus prometteurs.
— Mangez ça tout de suite, jeune maître, dit-elle en soulevant l’un des coins de la serviette qui en recouvrait le contenu. C’est un dur voyage, et vous avez besoin de prendre quelque chose. Vous donnerez ensuite le panier et la serviette à ce bon à rien de Judah, il les rapportera à la maison. Je dois m’en aller à présent, les jumeaux vont se lever et ne trouveront rien à déjeuner. Vous devez me promettre de bien manger pendant que vous êtes absent, sinon vous tomberez malade et le maître ne sera pas là avec ses potions pour vous soigner.
Il lui jura de continuer à manger, bien qu’elle ne soit pas en Sardaigne pour s’en assurer, lui adressa un adieu plein d’affection et souleva la serviette. Le panier contenait les pâtisseries épicées de Naomi, de la pâte à pain fourrée de fromage et de toutes sortes de choses parfumées, puis frite. Il en tendit une à Raquel – qui avait travaillé dur – et une autre à Judah, le garçon de cuisine, qui avait toujours faim. Et soudain il prit conscience de la présence des gardes et du palefrenier resté avec les mules. Et aussi de son maître et de sa maîtresse, qui devaient être affamés. Les pâtisseries disparurent, tout comme la miche
Weitere Kostenlose Bücher