Potion pour une veuve
ensuite on dort. Quand il fera assez frais, on se remettra en marche.
— Et ce sera quand ? demanda Narcís, relevé de ses fonctions et sortant tout juste de l’eau.
— Quand je le dirai, répondit sèchement le sergent.
Quand ils avaient empilé les bagages, ils avaient mis de côté les paniers de bât contenant la nourriture. Oliver et Domingo les emportèrent vers un endroit agréable et soulevèrent les couvercles.
— Ils sont remarquablement lourds, dit Oliver.
— Voilà la raison, répondit le sergent en tirant des paniers deux cruchons bien bouchés. Et en voilà une autre.
Deux plats en terre, enveloppés dans des serviettes de lin, furent disposés devant eux.
— Il y a là des fruits secs, du jambon et du pain que nous envoient les cuisiniers de Son Excellence.
— On devrait les garder pour le souper et le déjeuner de demain, proposa Oliver, puisque nous avons perdu tout espoir d’atteindre Barcelone aujourd’hui.
— D’accord, répondit le sergent. Venez, tas de fainéants !
Les cruchons contenaient du vin. Le sergent en déboucha un et envoya Narcís mettre l’autre au frais dans le torrent. Quand il revint, un impressionnant festin était déployé devant eux. Un des plats contenait du poulet et du canard, coupés en morceaux et cuits dans une sauce épaisse et épicée, aussi frais grâce à la terre que s’ils avaient été rangés dans un cellier bien abrité. Dans l’autre, il y avait des lentilles et du riz cuits avec des oignons, de l’ail et des herbes parfumées. Ils se jetèrent sur la nourriture.
Quand tout le monde eut mangé et que le vin eut considérablement diminué, les conversations moururent d’elles-mêmes. Narcís s’endormit ; Domingo et Oliver continuèrent de parler de chevaux à voix basse, puis sombrèrent dans le sommeil. Miquel et Gabriel étaient de garde – Miquel près des bagages, et Gabriel en haut de la colline, d’où il pouvait surveiller les environs. Tout était paisible. La chaleur avait interrompu les chants des oiseaux et les activités des petites bêtes. Des gens raisonnables, se dit Yusuf, seraient chez eux à somnoler dans une pièce fraîche et confortable.
Après avoir conclu qu’il était le seul être vivant éveillé dans cette partie du monde, Yusuf remarqua du coin de l’œil un léger mouvement. Sans bouger la tête, il vit quelque chose de brun tapi sous un buisson épais. Il affina son regard. Brun foncé avec des yeux. D’une bonne taille, semblait-il, mais trop petit pour être un homme. Un chien ? Un renard ? Un animal plus menaçant ? Il faillit jurer de frustration. Une fois encore, il n’avait pas son épée à côté de lui – en dépit des excellents conseils reçus le matin même. Se servant de son corps comme d’un bouclier qui le protégeait de ce regard inquisiteur, il saisit très lentement un morceau de bois.
Il remarqua qu’Oliver Climent le regardait. Le bailli, la main sur le pommeau de son épée, secoua la tête de manière presque imperceptible. Yusuf lâcha le bâton.
Un bras blanc et maigre jaillit du buisson et attrapa le morceau de pain qu’un des gardes avait laissé à terre. Oliver fut tout aussi prompt. Sa main robuste se referma sur le petit poignet.
— Sors d’ici, dit-il sur le ton de la conversation, sans pour autant desserrer son emprise. Nous ne te ferons pas de mal.
Le propriétaire du bras ne bougea pas et n’émit aucun son.
— Si tu ne sors pas, c’est moi qui vais devoir te tirer.
Il ne se passait toujours rien.
— Puisque c’est ce que tu veux…
Oliver tira d’un coup sec et l’on vit apparaître un jeune garçon petit et malingre : il avait de longs cheveux hirsutes et portait une tunique brune et grossière trop grande pour lui. Des larmes creusaient des sillons dans la crasse de son visage.
— Tu as faim ? demanda doucement Oliver, sans lâcher le poignet.
Le garçon le regardait de ses grands yeux sombres.
— Quelle question ! Bien sûr que tu as faim. Tiens, tu vas nous rendre un grand service, à nous et à nos mules, en nous aidant à manger ceci. Ce que nous ne mangeons pas, nous devons l’emporter, et nos bêtes sont déjà surchargées.
Tout en parlant, il arracha un morceau de pain, le déposa sur un linge et mit dessus un peu de poulet. Avec un autre morceau de pain, il attrapa des lentilles et du riz et posa le tout près du poulet.
— Bon, si je te lâche, est-ce que tu vas rester ici pour
Weitere Kostenlose Bücher