Potion pour une veuve
cour.
— Que penses-tu de tout ça ? dit Isaac quand la porte dans la muraille eut été à nouveau barricadée.
— C’est une charmante petite propriété, papa. La maison est solide et sûre. Très sûre. Le maître doit réellement craindre les voleurs et les maraudeurs. Les portes sont barrées et fermées à clef, ajouta-t-elle, et de lourds volets obscurcissent toutes les fenêtres du rez-de-chaussée.
— C’est certainement parce que les serviteurs redoublent de précautions quand leur maître est absent, dit Isaac d’un air détaché. La maison est alors placée sous leur responsabilité. Ils m’ont certainement fait partir le plus vite qu’ils le pouvaient.
Mais ni lui ni Raquel ne demandèrent pourquoi l’évêque de Gérone recevait et envoyait du courrier par l’intermédiaire d’une petite ferme jolie et prospère.
Le soleil ne cessait de monter dans un ciel dépourvu de tout nuage, la température grimpait et la progression de la petite troupe en route pour Barcelone commençait à ralentir.
La brise tomba. Le paysage frémissait dans la chaleur qui s’élevait de la route et des champs arides. La mule la plus chargée – une bête robuste, au pas sûr – trébucha à deux reprises. Le sergent leva le bras et commanda qu’on fît halte.
— Si nous continuons ainsi, nous allons perdre notre meilleure mule, dit-il en lançant un regard noir aux autres comme s’ils n’étaient pas de son avis. J’ai dit à Son Excellence que nous étions trop chargés, et nous n’avions pas encore ces réserves de nourriture.
— On va s’arrêter ici, sergent ? demanda Miquel, le plus âgé des trois gardes.
— Ici ? Sans eau ni ombre ? Le soleil t’aura tapé sur le crâne. Mais non ! Il y a un endroit idéal à un bon quart de lieue d’ici. De l’autre côté de cette colline. Mais il faut décharger la mule un peu avant qu’elle ne se mette à boiter.
— Je vais marcher, dit Yusuf. Ma jument portera les paquets.
— Une excellente idée, mon garçon, répondit le sergent. Mais il me semble qu’il vaudrait mieux que ce soit quelqu’un de plus lourd, monté sur un cheval plus puissant, qui fasse ce sacrifice.
Il regarda alentour et sourit.
— Narcís, tu vas pouvoir te dérouiller les jambes.
Narcís haussa les épaules.
— Je savais que ce serait moi, grommela-t-il.
Deux coffres, petits mais très lourds, destinés à Sa Majesté passèrent de la mule sur le cheval de Narcís, et le groupe repartit paisiblement vers la colline. Celle-ci était plus haute qu’on ne s’y serait attendu. Quand ils parvinrent au sommet, chacun avait mis pied à terre pour alléger les bêtes.
— J’ai une ampoule au talon, pesta Narcís quand ils se furent arrêtés sur la cime.
À mi-pente se dressait un petit taillis touffu. Un torrent rapide le traversait, entouré de terres herbeuses partiellement abritées par les arbres.
— Voilà, dit le sergent. On y sera dans une minute.
Ce fut une longue minute. Quand ils s’arrêtèrent enfin à l’ombre des arbres, ils déchargèrent les animaux, les lâchèrent pour qu’ils aillent boire et paître, puis les laissèrent sous la surveillance de Narcís, qui avait ôté ses bottes et contemplait ses pieds d’un air sombre. Domingo et Oliver se dévêtirent et entrèrent dans l’eau pour se débarrasser de la poussière et de la sueur. Miquel et Gabriel firent de même. Oliver trouva un endroit plus profond où il se rinça soigneusement dans l’eau froide avant de secouer sa chevelure trempée et de s’étendre au bord du torrent.
Yusuf les regardait. De par sa nature ou son éducation, il n’était ni timide ni prude, mais à côté d’Oliver, dont les membres, le cou et la poitrine le faisaient ressembler à un lutteur de foire, il se sentait petit, insignifiant. La fierté exigeait toutefois qu’il ne restât pas au bord du torrent comme une vierge effarouchée. À la hâte, il ôta chaussures, tunique, chemise et culotte, en fit un tas et se précipita dans l’eau avant de s’asperger vigoureusement. Avant qu’il ne sortît de l’eau et ne se revêtît de sa chemise, le soleil avait séché Oliver. Celui-ci se leva et mit sa chemise, rinça sa culotte dans l’eau et l’accrocha à une branche pour qu’elle sèche.
— Je te recommande d’en faire autant, mon gars. Tu me remercieras quand il sera temps de partir.
Les autres étaient secs et à moitié vêtus.
— On mange, dit le sergent,
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