Potion pour une veuve
Réfléchissez. Si elle le vend, elle se débarrasse de lui tout en gagnant quelques pièces. Il faut seulement qu’elle trouve un meilleur aide, c’est tout.
— C’est surprenant qu’on ne vende pas plus de garçons de cuisine avec un tel raisonnement.
— Mais comment expliquerait-elle ton absence à ta famille ?
— Je n’ai plus de famille, messire. Elle allait dire aux… aux frères de l’orphelinat que j’étais mort.
Narcís s’était éveillé et écoutait avec grand intérêt le récit du petit fuyard.
— Mais c’est impossible ! intervint-il. Même si tu n’as pas de famille, un petit chrétien ne peut être vendu…
— C’est exact, reconnut Oliver, mais les navires qui appareillent de Barcelone ont à leur bord des enfants chrétiens qui seront vendus à bon prix sur toutes sortes de marchés. Quelques pièces échangées quand le vent est favorable, et le garçon – ou la fille – se retrouve embarqué avant même que de comprendre. Si l’on interroge le capitaine – ce qui n’arrive pratiquement jamais –, il peut toujours répondre que c’est un petit Maure capturé lors d’une bataille. Qui dira le contraire ?
— L’enfant, répliqua le garde. Il lui suffit d’affirmer qu’il est chrétien au premier fonctionnaire qu’il rencontre.
— Non, parce qu’il sait déjà qu’on lui coupera la langue s’il s’amuse à cela, répondit Oliver. Tu es un homme de la terre, mon bon Narcís. Ce sont là les coutumes des gens de mer. À propos, sais-tu lire et écrire, mon garçon ?
— Oui, dit l’enfant avec une certaine hésitation. Un peu.
— Dans ce cas, je te suggère d’apprendre. C’est utile de savoir écrire. Te couper la langue ne servirait alors à rien parce que tu pourrais jeter sur le papier tes accusations. Un esclave sans langue peut travailler, mais on ne tirera rien d’un esclave sans mains, et l’argent que le marchand aura investi sur sa personne sera perdu. C’est une question de bon sens, à leurs yeux, bien entendu. Donc tu t’es sauvé, ajouta-t-il en le dévisageant. Tu es intelligent. J’aurais fait de même, tu sais.
— Ça se comprend, vu les circonstances, intervint le sergent. Mais d’où t’es-tu enfui ?
— Je ne puis le dire, señores, dit l’enfant qui avait, une fois encore, l’air paniqué. Je ne sais pas exactement où était la maison.
— Mais tu as été élevé par des frères dans un orphelinat ?
— Oui. Mes parents sont morts. Ensuite, les frères qui s’occupaient de moi m’ont placé comme garçon de cuisine.
— Pourquoi ne pas te mettre en apprentissage, mon gars ? lui demanda Oliver.
— Les frères ont peu d’argent pour les apprentis, et ils le donnent pour ceux qui sont…
Il parut chercher un mot.
— … Ceux qui sont plus aptes à apprendre un métier, murmura-t-il en rougissant.
— Ah, je suis sûr qu’ils se trompent. Tu m’as l’air intelligent. Très habile, aussi. Presque autant que moi, et ils sont peu à avoir des mains aussi prestes que les miennes. C’est une bénédiction que je sois honnête, ajouta Oliver, sinon j’aurais fait un brillant coupe-bourse.
— Vous avez peut-être le cœur trop tendre pour ça, dit le sergent.
— Oh, je n’en suis pas si sûr. Alors, Gil, où vas-tu à présent ?
— Il y a d’autres royaumes au nord et à l’est. C’est là que je vais.
— Assurément, mais tu devras faire preuve de beaucoup de prudence en chemin, car certains sont nos ennemis. Dès que tu ouvriras la bouche pour parler, l’on saura d’où tu viens. Moi-même, j’ai une petite idée là-dessus, mais si tu n’as pas envie d’en parler, je ne dirai rien.
— C’est vrai ? demanda Narcís.
— Je le taquine. Je ne peux rien dire, sauf qu’il est catalan, de cette région, comme nous tous. Mais dans les autres royaumes, ils parlent avec d’étranges accents : tu pourrais ne pas les comprendre. C’est un point à ne pas négliger.
Gil rejeta les mèches qui lui tombaient devant les yeux et eut un rire insolent à l’adresse d’Oliver.
— Je sais tout des étrangers, señor. Et je comprends la langue de nombre d’entre eux. Ce n’est pas parce que je ne sais pas bien lire et écrire que je suis totalement ignorant !
— Mille excuses.
— C’est un garçon intelligent, dit le sergent. Trop pour aider à la cuisine.
— Suis-je libre de partir ? demanda-t-il brusquement en se tournant vers Oliver.
— Bien
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