Potion pour une veuve
tout, elle croyait que c’était ma faute, ce qui n’était pas le cas, je vous le jure. Je ne l’ai jamais encouragé. Je le trouvais répugnant.
— Ta maîtresse a donc décidé de se débarrasser de toi et de ramasser une belle somme d’argent par la même occasion. Mais ton maître se serait plaint. Il aurait pu encourir de gros ennuis, si une servante de sa maison, une petite chrétienne, était vendue à des trafiquants d’esclaves.
— Elle a attendu qu’il quitte la ville, expliqua Clara.
— C’est là que tu t’es enfuie ?
— La cuisinière m’a parfaitement expliqué ce qu’il adviendrait de moi si j’attendais pour être vendue. Les filles comme moi sont emmenées dans des pays étrangers et vendues aux hommes pour leur amusement ; quand ils en sont las, ils les revendent aux bordels pour qu’elles servent aux marins.
— La cuisinière n’était pas loin de la vérité, admit Oliver.
— J’ai pris une tunique trop grande pour moi dans le coffre à vêtements alors que je rangeais des draps, j’ai fait un paquet avec ma robe et le pain que la cuisinière m’a donné et je suis partie pour Gérone.
— Le reste de l’histoire est-il vrai ?
— Oui, sauf que j’étais chez les sœurs, pas chez les frères, répondit-elle avec une ébauche de sourire.
— Qu’est-ce que je vais pouvoir faire d’elle ? dit Oliver en levant les yeux au ciel. Je pourrais placer une douzaine de jeunes hommes intelligents chez des connaissances qui me sont obligées et qui souhaitent former un apprenti, mais je n’ai pas l’habitude des jeunes femmes !
— Ce qu’il lui faut, c’est un mari, déclara Mundina.
— Mais comment puis-je espérer en trouver un ? demanda Clara. Je n’ai pas de famille, pas d’amis et surtout, pas de dot.
Là-dessus, elle éclata en sanglots à fendre le cœur.
La pluie s’était également abattue sur Gérone la nuit précédente et, ce matin-là, la cour de la maison du médecin était à la fois propre et fraîche. Les arbres scintillaient de gouttes d’eau, et la table du déjeuner avait été dressée à un endroit où elles ne risqueraient pas de tomber sur le pain, le fromage et les fruits.
— Vous n’avez pas encore parlé à Son Excellence ? demanda Judith, l’air inquiet. À propos des effets du défunt, évidemment.
— Vous savez pertinemment que non, lui répondit son mari. À peine me suis-je allongé hier après-midi pour une sieste bien méritée que le jeune fils de maître Astruch est tombé malade. Nous sommes restés auprès d’eux jusque tard dans la nuit. N’est-ce pas vrai, Raquel ?
— Si, papa, dit sa fille en bâillant. Je suppose qu’il doit aller mieux puisqu’il ne nous a pas rappelés.
— Qu’avait-il ? s’enquit Judith.
— Je crois qu’il est allé au jardin et qu’il a mangé un fruit avec lequel il n’a pas fait bon ménage, expliqua Isaac.
— Si les gens font pousser des plantes vénéneuses dans leur jardin, papa, il faut s’attendre à des accidents de ce genre, dit sa fille dont la voix rappelait par instants celle de sa mère.
— Je ne pense pas qu’ils voulaient du mal à leur fils. Ils ignoraient que ces plantes poussaient là, c’est tout.
— Lui vouloir du mal ? Mais ils le gâtent à l’extrême ! s’écria Judith. Ils lui offrent tout ce qu’il désire, sans la moindre retenue. C’est vraiment ridicule de céder ainsi à un enfant.
— Surtout quand ce qu’il veut, c’est du poison, ajouta Raquel.
— Il suffit, Raquel ! trancha sa mère. Ce sont nos amis et nos voisins.
— Oui, maman, dit-elle en revenant à son déjeuner.
— Ce que je voulais vous dire, Isaac, c’est que je me rappelais autre chose, reprit Judith. Une chose que, dans la presse et la confusion d’hier, j’avais omis de vous signaler.
— Qu’auriez-vous pu oublier ? s’étonna le médecin.
Il savait que la mémoire de sa femme était des plus fidèles et, même s’il regrettait parfois sa capacité à se rappeler dans le détail des événements et des conversations déjà anciens, il ne pouvait s’empêcher de se montrer impressionné.
— Dans les affaires de cet homme, dit-elle, en plus de l’argent et des feuilles de papier couvertes d’écriture, il y avait, peint sur un morceau de bois poli, le portrait d’une femme. Une très jolie femme, précisa-t-elle puisque c’était vrai.
— C’est très intéressant. Je regrette parfois, ma mie, que
Weitere Kostenlose Bücher