Potion pour une veuve
heureuse, je travaille dur et je veille sur tout. Je suis en sécurité ici, mon amour. Soyez assuré que nul ne trouble notre sérénité. Mais je m’inquiète pour vous. Votre fils envoie à son papa des baisers, auxquels je joins les miens. » C’est signé « S. », dit Bernat en tendant le papier à Berenguer.
— Cette missive est certainement de son épouse. Ou plutôt, de sa veuve. J’ignorais qu’il fût marié.
— Elle va être bouleversée en apprenant sa mort, dit Bernat. Il semble qu’elle lui était très attachée.
— C’était aussi une femme intelligente et travailleuse, ajouta Berenguer. Mais bien cachée. Qui est-elle ? Qui pourra lui parler de la mort de son mari si nous ignorons qui elle est et où elle réside ? Avez-vous remarqué qu’il n’y a pas un seul nom dans cette lettre ? Les enfants, le voisin, le notaire… personne n’est nommé.
— C’est une femme très prudente, remarqua Bernat.
— Les lettres récupérées dans cette propriété étaient-elles destinées à Pasqual ? demanda Isaac.
— Cette maison n’a pas de maîtresse, répondit le capitaine. Elle est gérée par un bailli. Le maître vit dans le Roussillon, me semble-t-il.
— Et les lettres vont à Barcelone, ajouta Berenguer. Est-ce là le portrait ? demanda-t-il en ouvrant le sac de cuir.
Un ovale de bois lisse glissa sur sa paume. Il le retourna.
— L’épouse de Pasqual est une femme d’une grande beauté, constata-t-il. Où qu’elle vive, chacun doit la connaître. Mais elle m’est totalement inconnue.
CHAPITRE VII
Yusuf, le sergent et Miquel chevauchaient en tête et bavardaient à bâtons rompus quand le sergent leva la main pour exiger le silence. Derrière eux, dans le lointain, se faisaient entendre des bruits de sabots.
— Tenez-vous prêts !
Aussitôt Gabriel et Narcís encochèrent des flèches. Oliver poussa Neta au milieu des mules, et le petit groupe continua d’avancer avec prudence.
Domingo fit faire halte au sommet de la colline suivante. Ils regardèrent derrière eux.
— Gabriel, qu’est-ce que tu vois ?
— De la poussière. Une paire de chevaux, ajouta-t-il au bout d’un instant. Sur deux colonnes, des hommes au pas rapide. Huit ou dix, douze tout au plus. Ils portent une livrée, sergent.
— Voilà qui est rassurant. À moins que les bandits de grand chemin n’endossent l’uniforme, à présent.
— On continue, sergent ? demanda Miquel.
— À mon avis, non. Si ce sont des hommes d’armes en tenue, il vaudrait mieux que nous voyagions de concert. Ils pourraient nous venir en aide si nous rencontrions des difficultés.
— Mais, sergent, ils nous dépassent en nombre…
— Si leur allure ne nous plaît pas, nous les quitterons. Nous sommes plus rapides qu’eux. Tu vois le ruisseau là-bas ?
— Oui, sergent.
— On va s’y arrêter pour faire boire les bêtes et prendre une décision.
— Un ennui, sergent ? demanda Oliver une fois qu’ils eurent atteint le ruisseau.
— Nous allons donner à ces hommes une chance de nous rattraper. Miquel, quand ils apparaîtront sur la crête, occupe-toi à réparer un harnais ou à vérifier un sabot.
— Oui, sergent, répondit Miquel qui, à défaut d’autre chose, entreprit d’inspecter soigneusement toutes les mules.
— Sergent, reprit Oliver en mettant pied à terre, je voudrais profiter de cette halte pour vous parler d’une chose importante.
— Je n’aime pas les conversations qui débutent ainsi, maître Oliver. Quelle mauvaise nouvelle m’apportez-vous ?
— C’est à propos du garçon, murmura Oliver en se rapprochant.
— Et alors, qu’est-ce qu’il a ? répondit Domingo qui baissa également la voix.
— Eh bien, ce n’en est pas un. Regardez-le attentivement et vous comprendrez. Tante Mundina l’a tout de suite vu, elle.
Le sergent observa Mundina et Clara qui, toujours sur la mule, paraissaient en grande conversation. À un moment, ce matin-là, la fille s’était débarrassée de sa culotte sous son habit de moine, et l’on pouvait entrevoir sa jambe dénudée qui reposait sur l’encolure de Neta. Mince, fuselée, ce n’était pas du tout la jambe d’un garçon malingre de douze ou treize ans.
— Par tout ce qui est saint, maître Oliver, je comprends tout ! C’est une fille. Pas étonnant que je lui aie trouvé quelque chose d’étrange. Quel âge a-t-elle ?
— Près de seize ans. Et je la crois honnête et
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