Potion pour une veuve
levait.
Chacun se mut avec un empressement né de l’habitude. Le sergent tendit le pain à Gil. Le garçon en rompit un morceau pour chacun puis se hâta de sortir avec le sien. Yusuf harnacha et chargea sa jument avant d’aider à la préparation des mules. En un temps relativement bref, ils se retrouvèrent sur la route et foulèrent le chemin boueux qui menait à la mer.
— Tante Mundina vit dans un minuscule village tout près d’ici, dit Oliver. On devrait y être dans quelques instants.
— Plus tôt nous nous débarrasserons de ce gosse, mieux ce sera, répondit le sergent. Je le trouve bizarre.
— Bizarre ?
— Je ne sais pas. Son apparition soudaine. Son histoire. Quelque chose, quoi.
— Je sais. Ces gosses arrivent normalement par bandes entières. Rien n’indique qu’il a des amis. J’ai pourtant bien regardé.
— Alors, vous aussi, vous avez des soupçons ?
— J’ai toujours des soupçons.
Tante Mundina était une femme d’une quarantaine d’années, belle, énergique, l’air intelligent. Adossée à une colline du côté sous le vent de la route de Barcelone, sa petite maison semblait à la fois prospère et modeste. Mundina ne paraissait ni surprise ni effrayée d’être tirée du lit et de trouver devant sa porte cinq hommes, deux garçons et une douzaine de bêtes.
— Ça alors ! Mon bon Oliver ! Comme je suis heureuse de te voir ! Ainsi que tes amis, ajouta-t-elle, moins enthousiaste.
— Je n’ai pas l’intention de transformer ta maison en auberge, tante Mundina, lui répondit Oliver, mais j’ai par-devers moi un jeune garçon – son nom est Gil, et s’il en a un autre, je l’ignore – qui a grand besoin de passer quelques jours en lieu sûr.
Il prit l’enfant par le bras et le poussa vers la femme.
— Je ne l’ai pas arraché aux moines. Ce froc m’appartient, et il n’a pas plus que moi le droit de le porter. Cela mis à part, il n’offre aucune garantie, mais il me dit qu’il a l’habitude de travailler en cuisine. J’ai pensé qu’il pourrait se rendre utile.
Mundina tendit la main et releva le capuchon.
— Seigneur ! fit-elle en l’examinant attentivement. Tu es un bel enfant. Toi et moi allons devoir parler… mon garçon. Et tu voyages depuis combien de temps avec mon fils adoptif ?
— Un jour seulement, señora, répondit Gil qui devint écarlate.
— Je vois. Vous allez manger du pain et du fromage avant de reprendre la route, messires, dit-elle en les entraînant dans la petite cour où étaient dressés une table et des bancs. Asseyez-vous. Viens m’aider à porter les miches, mon enfant.
Tous deux disparurent dans la maison.
— Voilà une femme généreuse, dit le sergent.
— Elle a été ma nourrice, expliqua Oliver. Par la suite, quand j’ai grandi, c’est toujours chez elle que j’ai trouvé protection : contre les colères de mon père, les humeurs de mon tuteur, les maux de la vie.
— Des maux qui ont été nombreux vu que c’était un enfant plutôt difficile, ajouta Mundina qui venait de réapparaître, porteuse d’une miche et d’une cruche de vin. Gil a le fromage. Pose-le, petit ! lança-t-elle par-dessus son épaule. Tenez, servez-vous.
Elle rentra dans la maison et ramena le garçon avec elle.
— Elle saura lui tirer les vers du nez, dit Oliver en riant. On ne peut pas mentir à tante Mundina.
Avant même la fin de ce repas impromptu, Mundina revint seule.
— Peux-tu t’occuper de lui, tante Mundina ? demanda Oliver. Tu me rendrais un immense service.
— Bien sûr. Il est grand temps que quelqu’un le prenne en main. Je veillerai sur lui.
— Alors nous allons pouvoir repartir.
— Vous avez rencontré des pillards cet été, señora ? demanda le sergent.
— Appelez-moi tante Mundina. Si on a eu des pillards ? dit-elle comme s’il s’agissait d’une maladie. Non. Il paraît que ça a été terrible cette année, mais on y a échappé jusqu’à présent. D’autres villages de la côte ont été ravagés, et tous les enfants et les jeunes gens emmenés.
— Je t’ai expliqué à plusieurs reprises que tu devrais venir avec moi à Barcelone, tante Mundina, dit Oliver. Nous avons d’épaisses murailles pour nous protéger, quatre tours avec des guetteurs pour nous avertir de leur approche et des navires prêts à se lancer à leur poursuite.
— Tu veux dire que nous sommes mal lotis, c’est ça ? s’écria-t-elle en feignant l’étonnement.
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