Potion pour une veuve
demanda l’évêque. Si le peintre est fidèle à la réalité, alors c’est une remarquable beauté.
Il se tourna vers la porte qui s’ouvrait pour laisser entrer le médecin et sa fille.
— Ah, soyez les bienvenus, maître Isaac, maîtresse Raquel. Nous parlions de la mystérieuse dame du portrait.
— Bonjour, maître Isaac, maîtresse, dit Oliver sans détourner son attention du portrait. Je n’ai jamais vu cette dame, Votre Excellence, mais je connais quelqu’un de sa parenté. Une sœur, ou peut-être l’enfant défunte à laquelle elle fait allusion et qui, hier matin, n’était pas plus morte que moi.
— Pourrait-ce être sa mère ? demanda Bernat.
— La mère de qui, père Bernat ? intervint Raquel.
— Celle de Pasqual Robert. L’homme qui a été tué lundi matin, maîtresse Raquel, lui répondit-il.
Il lui présenta le portrait.
— Elle est trop jeune pour être sa mère.
— Voyons, maîtresse Raquel, nous ignorons quand ce portrait a été peint, fit Berenguer d’un ton aimable mais vaguement condescendant. Peut-être était-il enfant à l’époque. Peut-être n’était-il même pas né.
— Non, Votre Excellence. La passementerie de son corsage et la coupe des manches sont très nouvelles. J’ai vu ce genre de robe sur des grandes dames quand nous étions à Barcelone, au printemps. Le portrait a été exécuté cette année, au plus tard l’année dernière, à moins qu’elle ne vive en un endroit où la mode a un ou deux ans d’avance sur nous.
— Me voilà mouché pour mon arrogance, fit Berenguer en riant. Vous avez tout à fait raison.
— C’est l’opinion d’une experte, ajouta Oliver. Je suis d’accord avec elle, mais je n’y aurais pas pensé tout seul. La coiffure, également, n’est pas du tout démodée.
— Effectivement, dit Raquel.
— C’est donc son épouse.
Oliver rangea le portrait dans son étui et le glissa sous sa tunique.
— Savons-nous où elle vit ? demanda Isaac.
— Nous ignorons tout d’elle, expliqua l’évêque. Nous ne détenons que ce portrait, mais nul ne l’a jamais vue. Peut-être vit-elle en Aragon ou en Castille…
— Je dirais quant à moi qu’elle vivait à Barcelone, dit Oliver, et je ferai de mon mieux pour la retrouver.
— Maître Isaac, dit Berenguer, je ne vous ai pas encore remercié d’avoir répondu à mon appel, comme si vous n’aviez d’autre occupation que de satisfaire mes caprices.
— Je suis toujours au service de Votre Excellence, répondit Isaac.
— Parfait. Dans ce cas, pouvez-vous parler au seigneur Oliver, avec le plus de détails possible, de l’homme que vous avez soigné chez la mère Benedicta ?
Rapidement mais de façon précise, Isaac décrivit l’état et l’emplacement de la blessure, la fièvre, les délires de l’individu.
— D’après ce que nous avons pu entendre, c’est un Castillan.
— Pourriez-vous dire quand il a été blessé ? le pressa Oliver.
— Il faut quelques jours, quatre ou cinq, pour qu’une blessure de cet ordre entre en putréfaction. Ensuite, la progression du mal est rapide, ajouta Isaac. Nous sommes allés le voir mercredi soir. Sa blessure pourrait dater du mercredi ou du jeudi précédent, à un ou deux jours près.
— Je dois parler à cet homme ! s’écria Oliver.
— Hélas, monseigneur, ce n’est plus possible. Nous l’avons installé dans un endroit plus sain – plus frais, mieux aéré – et avons fait le maximum pour lui, mais il était déjà condamné avant notre première visite. Je sais que le capitaine s’est rendu plusieurs fois à son chevet pour lui soutirer des informations avant qu’il ne trépasse, mais j’ignore s’il en a tiré le moindre renseignement.
— On pourrait me le décrire ?
Raquel fit de son mieux, insistant sur le fait qu’il devait avoir plus fière allure avant d’être blessé.
— C’est vrai, maîtresse, dit Oliver, mais cela ne change en rien sa taille, la couleur de ses cheveux et celle de ses yeux, la forme de son nez. Je le reconnais. C’était l’un des hommes qui nous suivaient. Ils ont importuné Pasqual. La nuit de sa disparition – jeudi –, il m’a déclaré avant que je m’endorme qu’il comptait faire quelque chose à leur propos. Cette blessure infectée que vous avez soignée pourrait bien avoir été causée par l’épée de Pasqual. Ou sa dague.
— Il s’appelait Martín, dit l’évêque. Et il venait de Tudela, comme le
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