Potion pour une veuve
que c’est jour de lessive et que je n’aurai pas le temps de préparer à manger.
Elle reprit son couteau et se mit à hacher comme si sa maîtresse était allongée sur la planche.
— Comment on arrive à venir à bout de la lessive sans une personne de plus dans la maison, je me demande encore…
— Quand on exige d’une excellente cuisinière qu’elle sache tout faire, je suis surpris que ta maîtresse n’ait pas peur de te perdre.
Elle eut un timide sourire de contentement.
— J’ai appris la cuisine, et on me demande de travailler dur. Je suis forte, et ça ne me dérange pas. Mais quand je suis arrivée, je croyais que c’était pour ça, pas pour le linge. Je m’en moque bien de donner un coup de main çà et là s’il le faut, mais la maîtresse veut toujours…
Elle secoua la tête, comme si ce qu’exigeait la maîtresse était trop terrible pour être révélé.
— Pourquoi Clara s’est-elle enfuie ?
— Je ne vous ai rien dit de tel. Pourquoi voulez-vous le savoir ?
Une fois encore, Oliver se présenta sous les traits d’un oncle voyageur, parti depuis longtemps.
— Les religieuses m’ont envoyé ici dans l’espoir que l’on m’aiderait à la retrouver.
— D’abord, dit la cuisinière, ce n’est pas ce que vous croyez. Quand une fille se sauve, les langues vont bon train, mais ici, il y avait des problèmes…
Elle lui raconta avec un plaisir certain l’histoire du maître qui s’amourache d’une jeune servante.
— La maîtresse était au courant et cela ne lui plaisait pas. Pour dire toute la vérité, et même si c’était une bonne enfant et que je l’aimais bien, ce n’était pas la meilleure aide de cuisine de Barcelone. Intelligente et vive, oui, mais le dur labeur, ce n’était pas fait pour elle.
— Alors elle s’est sauvée ? Parce que le maître la pressait et qu’on lui demandait trop ?
— Pas exactement. C’est une brave petite, vous savez. Mais quelqu’un a offert cinq cents sous à la maîtresse pour lui acheter la fille. Je les ai entendus. Il fallait faire quelque chose. Je ne voulais pas qu’on l’emmène en terre païenne pour qu’elle devienne le jouet d’un homme riche entouré d’une douzaine d’épouses qui lui feraient subir Dieu sait quoi. C’est une bonne enfant, je vous dis, mais la maîtresse l’a détestée dès qu’elle est arrivée et elle a dit à cet individu qu’il pourrait l’acheter mais qu’il lui faudrait attendre quelques jours que le maître s’en aille pour Majorque.
Oliver avait déjà entendu tout cela, de la bouche de Clara il est vrai, mais pas de manière aussi spontanée. La cuisinière continua de parler et il arrêta de tourner la broche pour mieux l’écouter.
— Je vous dis que c’est une gentille fille. Le maître voulait l’établir comme sa maîtresse, dans une maison bien à elle, avec des habits, des bijoux et des serviteurs, mais ça aussi elle n’en voulait pas. Je l’ai entendue le lui dire. Elle est venue vers moi, en larmes, et je lui ai expliqué que ce n’était pas un mauvais homme, qu’il n’essaierait pas de la contraindre, mais on ne sait jamais, elle ne devait pas rester seule en sa présence. À partir de là, elle a partagé mon lit, elle y était en sécurité avec moi entre la porte et elle.
Les bras robustes de la femme en auraient convaincu plus d’un, songea Oliver.
— Je suis persuadé qu’elle ne craignait rien avec toi, maîtresse.
— Vous n’avez certainement pas vu votre nièce depuis qu’elle est gamine, mais c’est devenu une vraie beauté.
— Sa mère était très belle, je ne m’étonne pas qu’elle le soit aussi.
Le chevreau commençait à fumer. La cuisinière poussa un cri perçant.
— Petit !
Une sorte de galopin qui devait avoir dans les quatorze ans déboucha dans la cuisine.
— Hé, j’ai un nom ! grommela-t-il.
— Ah oui ? Et tu t’en rappelles ? Tu sais aussi pourquoi on t’a engagé ?
— Arrête de brailler, dit-il d’un ton renfrogné avant de se mettre à tourner la broche. Tout le monde me crie dessus. Toi, la maîtresse, tout le monde. Et puis je t’ai entendue parler de cette Clara. Je voudrais bien savoir ce qu’est devenue la tunique qu’elle m’a volée. C’était presque ma plus belle et elle avait de la valeur.
— Ferme ta bouche ! lui lança la cuisinière. Cette tunique était si petite qu’elle ne serait même pas parvenue à couvrir le bout de ta langue de
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