Pour les plaisirs du Roi
que je fus surtout le plus rapide au signal du chevalier. Cela se joua à un quart de seconde, mais ce quart-là n'a pas voulu signer ma dernière heure.
Lorsque je rentrai chez moi, Elie me fit l'exemplaire démonstration de sa joie de me retrouver. Le souvenir m'en est resté car moi aussi je fus pris d'un insatiable appétit cette nuit-là : quand le corps a flairé la mort de près, il n'en a que plus de désir de se sentir vivre. Le lendemain, un billet de M. d'Éon m'avisa que M. de Kallenberg était dans un état très grave mais que par bonheur – pour lui – ma balle n'avait peut-être pas touché d'organes vitaux, selon les médecins appelés à son chevet. Deux semaines plus tard, ce diagnostic s'avéra confirmé car j'appris avec stupéfaction que Kallenberg avait été vu à l'ambassade de France, le bras en écharpe mais sur ses deux pieds.
Mais brisons là avec ce monsieur, et intéressons-nous plutôt au courrier que je reçus entre-temps du fameux M. François. Il m'y expliquait comment notre affaire n'attendait plus qu'une signature de mon prête-nom. Deux jours plus tard, Nallut s'embarquait comme convenu pour Calais. Nous étions à la fin de novembre. Je n'eus pas à attendre longtemps pour recevoir d'autres nouvelles de France, en provenance cette fois de M. de Richelieu. Il m'informait qu'il était temps pour moi de rentrer : la Pompadour crachait du sang tous les matins, M. de Choiseul essuyait les vives critiques du Dauphin, et de surcroît, un ami du duc, M. de Maupeou, venait d'être nommé garde des Sceaux. Autant de raisons pour entreprendre un discret retour. Quant à M. de Sartine, son zèle s'était refroidi au fur et à mesure de la dégradation de l'état de santé de la favorite. Mieux que d'autres, il savait qu'à Versailles les bannis d'hier pouvaient devenir les privilégiés de demain.
Je passerai rapidement sur les détails de mon départ. Je rendis visite une dernière fois à lord Ligonier que je remerciai chaleureusement pour ses bons soins à mon égard. Il mourut quelques années plus tard, comblé d'honneurs et fut même élevé au rang de pair d'Angleterre. Pour un enfant de Castres, l'histoire est belle. Elie, enfin, ne fut pas la moins triste de mon départ. Elle se montra toutefois digne : si elle espérait que je lui demande de m'accompagner, elle n'en montra rien. Ce fut mieux ainsi. Il n'était nullement dans mes intentions de l'amener à Paris. Pour ses services, je lui laissai tout de même mille guinées. Je lui souhaite d'en avoir fait bon usage car je n'eus plus jamais de nouvelles d'elle.
13 L'abbé Joncaire n'était pas retourné au Canada. Ce qu'ignora toujours le comte, c'est qu'il revint en France en 1764 pour retrouver Louise Tiercelin. Elle ne l'avait pas oublié et elle renoua avec lui. Mais l'homme était incorrigible. Il tenta à nouveau de soutirer de l'argent au roi par son intermédiaire. Cette fois, on ne lui laissa pas le temps de s'enfuir : on le jeta en prison, ainsi que Mlle Tiercelin, selon les archives de Sartine. On soupçonne également l'abbé d'avoir été un agent des Anglais. Élargi un an plus tard, il rentra définitivement au Canada.
Chapitre XX
N ous embarquâmes avec Simon le 9 décembre 1763 à destination de Calais. La mer était grosse mais le capitaine, un Écossais, certifiait qu'il en avait vu bien d'autres dans sa carrière. Selon cet aimable marin, il ne servait à rien d'attendre, et nous fîmes une sortie très remarquée du port de Douvres, toutes voiles dehors. À peine une heure après notre départ, un fort vent se leva qui commença de sévèrement nous bousculer : le navire accusa un roulis à ne pas tenir un homme debout. Assis sur le pont, j'assistais aux manœuvres de l'équipage dont le capitaine peinait à obtenir le meilleur quand une vague jeta un terrible désordre sur la proue. Cette bête de Simon s'en trouva proprement terrifiée : il se recouvrit le visage d'une couverture pour ne pas voir la suite. Je dois avouer que je ne devais pas non plus offrir une mine de noce car la situation commençait à devenir inquiétante. Au bout d'une nouvelle heure de ce chahut, il me sembla cependant percevoir une légère accalmie. Le capitaine en profita pour nous annoncer dans un mauvais français qu'il se déroutait sur Boulogne, la route lui paraissant plus sûre. Cinq heures plus tard, à force de lutter contre les éléments, nous apercevions enfin ce port. Au moment de débarquer, Simon fut pris de
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