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Pour les plaisirs du Roi

Pour les plaisirs du Roi

Titel: Pour les plaisirs du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Philippe Hugon
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mal à caser près d'eux l'imposante carrure de Simon. Puisqu'il est question de cette brute, je me souviens qu'il affichait depuis le matin une mine que je lui connaissais peu. Pour tout dire, son air niais paraissait l'avoir quitté et il semblait presque intelligent. C'est curieux à expliquer, mais ce détail accrocha mon attention en un instant où j'aurais pourtant dû penser à l'épreuve qui m'attendait. Il en est parfois ainsi : lorsque notre réflexion devrait se concentrer sur l'essentiel, les futilités qui nous entourent se mettent à accaparer notre esprit.
    L'obscurité commençait à gagner quand une voiture s'arrêta non loin de nous. M. de Kallenberg en descendit, accompagné du chevalier d'Éon. Un domestique les suivit, qui portait dans ses bras une volumineuse boîte en bois foncé. Arrivés à notre hauteur, les témoins échangèrent un salut, tandis que M. de Kallenberg se planta à une toise de nous, sans un mot. MM. de Neville et d'Éon se chargèrent ensuite de régler les détails de l'affrontement. Kallenberg fit demander un duel à vingt pas, ce qui me laissait le choix de la manière dont nous engagerions le feu. Pour ceux de mes lecteurs qui ne connaissent pas ces usages, je précise que, lorsque l'offensé souhaite un échange à vingt pas plutôt qu'à trente-cinq, comme c'est plus souvent la règle, son adversaire est en droit de choisir le mode d'ouverture du feu. À savoir : laisser l'offensé tirer le premier – ce qui à vingt pas est une charmante manière de se suicider –, ou bien revendiquer un déclenchement simultané du feu au signal d'un témoin. Bien sûr, ce fut cette manière que je choisis. Le risque n'en était pas moins grand car si Kallenberg avait réclamé que l'on rapprochât les tireurs, c'était assurément pour mieux m'ajuster. Ces formalités accomplies, des domestiques marquèrent la distance requise par deux piquets de bois plantés à chaque place. Vint ensuite le moment du choix des armes. Mon adversaire proposa d'utiliser les siennes : deux superbes pistolets de duel élégamment rangés dans une belle boîte en acajou. J'acceptai, à la condition que mon témoin choisît en premier l'arme que j'utiliserais. Kallenberg refusa net. Il fit dire qu'étant l'offensé, ce privilège lui revenait. M. de Neville, qui connaissait fort bien les usages, s'insurgea contre cette demande. Les palabres durèrent quelques minutes entre le chevalier et le jeune lord. Personne ne voulant céder, il fut convenu que nous nous affronterions chacun avec nos armes, mais qu'elles seraient chargées et vérifiées par les témoins. La nuit commençait franchement à gagner lorsque tout fut prêt. Nous prîmes place. Le sort avait désigné le chevalier d'Éon pour ordonner le signal : il devait compter jusqu'à trois avant que nous ouvrions le feu.
    À un, nous plaçâmes nos corps de profil, la tête tournée l'un vers l'autre. À deux, Kallenberg allongea son bras pour me viser. Je fis de même. Un oiseau chanta, je m'en souviens fort bien. À trois, je pressai la détente : les deux détonations se confondirent en une seule. Mon corps tressaillit. L'épaisse fumée produite par les armes m'empêcha d'abord de discerner ce qui était advenu. Je ne semblai pas touché et j'inspectai rapidement mon habit pour m'en assurer. Lorsque je relevai la tête, les volutes s'étaient dissipées mais Kallenberg avait disparu. Du moins c'est ce que je crus avant d'apercevoir la pointe de ses bottes qui dépassait des herbes. Le chevalier d'Éon se précipita et fit signe que j'avais touché mon adversaire. Je m'approchai. Kallenberg était allongé de tout son long : une large tache de sang recouvrait son épaule droite et le haut de sa poitrine. Sa bouche, sur laquelle avait jailli un peu de sang, dessinait toujours son déplaisant rictus. M. de Neville constata qu'il respirait. J'ordonnai à Simon – qui avait retrouvé sa mine d'abruti – d'aider les domestiques du chevalier à le transporter dans sa voiture. D'Éon s'y engouffra également et tout ce petit monde s'évanouit dans la nuit.
    Le lecteur curieux se demandera comment un homme aussi peu habitué que moi à l'usage d'une arme à feu se sortit avec autant de bonheur de cette affaire. Je répondrai que, comme au jeu, la chance accompagne souvent le novice. Par ailleurs, l'arme de M. de Neville était effectivement d'une belle précision, et la nuit qui tombait n'aida sûrement pas Kallenberg à m'ajuster. Enfin, je crois

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