Pour les plaisirs du Roi
passablement défaite, mais ramenait une bourse contenant cent louis. Je lui demandai si c'était Lebel qui la lui avait remise, elle répondit que oui, bien qu'elle pensât que ce cadeau venait en fait du roi. Jugez de ma stupeur. Je la pressai vivement d'en dire plus. Je lui cède la parole, mais veuillez pardonner son peu d'entendement.
— Quand Simon m'a laissée chez M. de Lebel – elle croyait ce gredin gentilhomme –, il m'a reçu fort plaisamment. Il m'a proposé de me mettre à l'aise, comme l'autre jour, puis m'a demandé plusieurs petites choses qui nous ont beaucoup amusés.
— Lesquelles ?
— Oh, M. de Lebel a des manies très aimables. Tenez, il n'adore rien tant que faire le spectateur, comme au théâtre.
— Tu lui as joué une pièce ? demandai-je, incrédule.
— Euh, oui, pour ainsi dire. Avec toutefois peu de tirades, tout au plus quelques mots. Mais beaucoup de mouvements, en revanche…
— Explique-toi, je ne comprends rien.
— Eh bien, en fait, j'ai joué avec un acteur.
— Un acteur ? Il y avait quelqu'un d'autre ?
— Oui, monsieur le comte, un jeune homme, fort gentil, d'ailleurs.
— Le bougre… Mais qu'as-tu donc joué ?
— Je n'ai pas tout compris, Nous étions nus tous les deux et il y avait une pomme…
— Tu te moques…
— Certes non, monsieur. Il y avait bien une pomme.
— J'entends cela, mais veux-tu me dire qu'il t'a fait jouer le rôle d'Ève ? m'exclamai-je.
— C'est ce qu'il me sembla, répondit ingénument Dorothée. Je ne sais trop, je ne suis pas très versée dans les Écritures. Le jeune homme, lui, connaissait parfaitement son rôle.
— Je rêve…
— Vous êtes fâché monsieur le comte ?
— Point du tout. Continue.
— Cela se passa donc le plus gaiement, vous me connaissez. M. de Lebel me demanda d'ailleurs de le soulager. Ensuite, nous soupâmes toujours dans la même tenue et M. de Lebel m'avertit que nous allions nous rendre chez un puissant seigneur où un plus beau spectacle se préparait. J'y devais tenir le même rôle, de ce qu'il m'expliqua.
— Vous êtes partis de chez Lebel ?
— Oui. La route dura un peu et nous arrivâmes à minuit. J'ai tout de suite compris que nous étions à Versailles. On nous a fait passer par des jardins avant d'entrer dans un charmant hôtel tout…
— Le Parc-aux-Cerfs…
— Non, il n'y avait pas de bêtes. Pourtant il y eut beaucoup de monde à quatre pattes, dit-elle dans un éclat de rire.
Je fis les gros yeux et la pressai de continuer.
— Là-bas, on me présenta à d'autres jeunes filles.
— Vous étiez nombreuses ?
— J'ai cru voir que nous étions une douzaine à tenir le même rôle.
— Le même rôle ?
— Oui, elles étaient toutes avec le même costume que moi chez M. de Lebel, dit-elle en gloussant. Et il y avait quelques acteurs aussi.
— Dieu…
— Oh, comme c'est amusant ce que vous dites ! Figurez-vous justement qu'il apparut.
— Qui ?
— Dieu, monsieur le comte.
— Encore un acteur ?
— Oh non, monsieur !
— Ne dis pas de bêtises.
— Je ne suis pas sotte, monsieur, j'ai reconnu le roi.
— Dieu était le roi ?
— Oui, comme je vous vois. Avec une belle toge blanche. Enfin, c'est du moins ainsi qu'il se présenta.
Je restai stupéfait. Impatient, je continuai mon interrogatoire.
— Et ensuite ?
— Nous avons joué tous ensemble la scène de chez M. de Lebel, avec toutefois un peu plus de désordre.
— Et le roi ?
— Il était là.
— Tu lui as parlé ?
— Oh oui, un peu, toutefois je l'ai fait beaucoup rire…
— Mais c'est très bien cela.
— Il m'a dit qu'il goûtait beaucoup mes pieds.
— Fort bien. Et ensuite ?
— Ensuite ?
— Oui, t'a-t-il démontré personnellement sa satisfaction ?
— Non, j'avais déjà fort à faire avec les autres acteurs.
— Il ne t'a pas touchée ?
— Oh non, il est resté bien sage.
— Pas une caresse ?
— Rien. D'ailleurs, il en aurait été bien embarrassé car deux très jeunes personnes l'accaparaient déjà bien assez.
— Je vois. Et Lebel ?
— Oh, lui, il a vite disparu. Il n'est revenu que quand le roi nous a quittés. À la fin, il faisait jour, il m'a dit qu'on allait me conduire dans une chambre où je pourrais passer la journée si je le souhaitais. J'étais bien épuisée et j'ai accepté.
— Tu es donc restée un jour entier au Parc-aux-Cerfs ?
— Certes, et le soir du lendemain on m'a proposé de rejouer.
— Parfait. Le roi est venu ?
— Oui, mais point
Weitere Kostenlose Bücher