Pour les plaisirs du Roi
agréable de témoigner de votre belle résolution en cette circonstance. Toutefois, il est encore possible de solder ce différend par une simple lettre, je ne dirais pas d'excuse, mais plutôt de regret, à l'attention de M. de Kallenberg qui la gardera pour lui. De toute façon, ce dernier doit quitter l'Angleterre dans les prochains jours et cet arrangement ne portera préjudice à aucune des deux parties, conclut-il.
Au moment où il achevait sa phrase, Simon entra pour me prévenir qu'un ami de M. de Ligonier, le jeune lord Neville, qui m'avait fait fort bonne impression au cours de l'été à Cobham Park, venait d'arriver pour se mettre à ma disposition.
— Monsieur le chevalier, il serait de mauvaise publicité pour les affaires de la France que j'aie dérangé pour rien un honorable lord de ce pays. Et il ne sera pas dit, ni ici ni ailleurs, qu'un sujet du roi Louis XV défait le lendemain la parole de la veille. Je laisse cela aux diplomates.
Le chevalier se raidit. Je poursuivis :
— Allez dire à M. de Kallenberg que nous serons ponctuels au rendez-vous. Je vous remercie.
M. d'Éon me salua d'un hochement de tête et tourna les talons sans rien ajouter. Je sais ce que certains pensent : si lord Neville n'était pas arrivé, aurais-je maintenu le défi ? Je leur répondrai de venir me poser la question de vive voix.
Il me restait peu de temps pour me préparer. Lord Neville, sympathique jeune homme d'une excellente famille, me fournit une paire de pistolets qui, disait-il, avait servi à son père dans une affaire similaire. Comme je lui demandais s'ils lui avaient porté chance, il me répondit sur ce ton qu'affectionnent les Anglais que les pistolets tiraient juste mais que son père visait mal. Bref, lord Neville père avait raté son adversaire tandis que ce dernier ne manqua pas de lui fracasser une jambe, certes un moindre mal. Je l'ai dit plusieurs fois, je méprise les armes à feu qui donnent la mort de loin, par la sournoise entremise d'une bille de métal. Passe encore qu'on les utilise à la guerre, mais dans une affaire d'honneur, j'estime qu'elles sont inconvenantes. Las, j'avais accepté ; il me fallait maintenant m'enquérir du mieux que je pouvais des termes de la rencontre. Je dois dire que dans cette affaire, à aucun moment, je ne doutai de l'issue. Toujours les mêmes me trouveront fanfaron, surtout, diront-ils, que je rédige aujourd'hui ces lignes les pieds dans mes pantoufles, bien au chaud devant ma cheminée. Il faut toutefois me croire : j'étais habité d'une parfaite quiétude. De l'inconscience ? Peut-être. Toujours est-il que je déjeunai de bonne humeur avec lord Neville, sans plus de soucis que de bien me faire expliquer les rituels du duel au pistolet.
Je quittai ma demeure sur les coups de trois heures, ce qui laissait un délai bien suffisant pour être ponctuel à mon rendez-vous. Elie ne quitta pas sa chambre. L'inquiétude l'avait rongée toute la nuit et il me fut impossible de la rassurer avant mon départ. Je pense qu'elle était sincèrement plus soucieuse de ce qui pouvait m'arriver que de ce qu'il adviendrait d'elle si les choses ne tournaient pas comme je l'envisageais. Je remis tout de même à M. de Neville un simple courrier à l'attention de lord Ligonier dans lequel je lui expliquais la conduite à tenir en cas de malheur. Les instructions étaient simples : faire parvenir la nouvelle de ma disparition à Lévignac – définitive cette fois –, accompagnée des quelque vingt mille livres qui me restaient – je me rappelais avoir un fils –, puis informer M. de Richelieu. Pour Elie, je ne prévoyais rien, certain qu'elle se consolerait malgré son chagrin. Enfin, en ce qui concerne Simon, le bougre pourrait toujours faire valoir chez d'autres tout ce qu'il avait appris chez moi. Je partis donc pour Hampton Court le cœur léger.
Nous arrivâmes en avance de plus d'une demi-heure. L'endroit, un petit champ dont l'herbe était assez haute, se situait à très faible distance du château royal de Hampton. Lord Neville, pensant me divertir, m'expliqua que la demeure abritait le fantôme d'Henri VIII et de sa cinquième femme. Il ajouta que le souverain avait fait décapiter cette dernière car elle s'était rendue coupable d'adultère. Je trouvai l'anecdote passablement plaisante en cette circonstance ; toutefois, je ne lui en dis rien. Nous étions venus avec la voiture du jeune lord, à l'arrière de laquelle ses deux domestiques avaient eu du
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